Le temps des Fêtes approche et j'ai bien hâte de passer du temps avec ma famille et mes amis. Habituellement, ça suffit à me combler de joie pour Noël et je ne te demande pas de cadeaux, mais cette année est particulière et j'ai décidé de t'écrire cette lettre. Je ne suis plus un enfant, c'est vrai, mais j'espère que tu exauceras quand même mon souhait. J'ai été vraiment très sage cette année et, en plus, ce que je vais te demander, je suis sûr que ça fera plaisir à tous les enfants de la Terre.
Pour que tu comprennes bien l'importance du cadeau que je veux, je vais te raconter mon année. En même temps, tu verras que j'ai été très gentil et que je mérite d'être sur la bonne liste, celle de ceux qui recevront de beaux cadeaux.
Tu te rappelles que l'an dernier j'ai écrit au Premier Ministre du Canada? Je lui avais demandé pourquoi il s'en prenait à Statistique Canada, un organisme qui fait l'envie de tous les autres pays et une source indispensable d'informations sur la société pour ceux qui veulent comprendre les problèmes auxquels on fait face et proposer des solutions. C'est le ministre de l'Industrie de l'époque, M. Tony Clement qui m'avait répondu. Il m'avait écrit une lettre bizarre qui laissait entendre que je faisais probablement partie d'un groupe de pression mal intentionné.
Tu te rappelles aussi que j'ai rencontré des médecins pour essayer de démêler le vrai du faux dans ce qu'on entend aux nouvelles au sujet de notre système de santé? Je me suis rendu compte que ni les gens qui travaillent dans le milieu, ni les politiciens, ni les lobbyistes, ni les journalistes ne comprenaient le système dans son ensemble.
Tu te rappelles enfin que j'ai commencé à travailler sur une pièce de théâtre? Elle visait à montrer à mes contemporains que les problèmes auxquels ils font face se sont déjà produits dans l'Antiquité et qu'il serait bon de regarder les réponses qu'ils ont essayé d'y apporter et leurs conséquences afin de ne pas répéter les mêmes erreurs à une plus grande échelle.
J'ai entrepris tout ça, mais je me suis rendu compte que mes actions individuelles avaient peu d'effet. Alors cette année, j'ai voulu me faire des amis qui ont à cœur d'améliorer la société. J'ai mis beaucoup d'efforts dans mes relations avec les autres à tous les niveaux. J'ai démarré un blogue, je me suis mis à commenter l'actualité sur Twitter, Facebook et le Devoir. J'ai correspondu avec des gens intéressants et j'en ai même rencontré quelques uns. J'ai donné mon appui à des causes justes. Je me suis impliqué dans le conseil d'administration de ma copropriété. Je me suis présenté comme candidat aux élections de mon Centre de santé et de services sociaux. J'ai écrit un mémoire sur le secteur de l'information. J'ai participé au mouvement Occupons Montréal. J'ai écrit des lettres, des articles. J'ai donné des entrevues. J'ai fait de mon mieux pour éveiller les gens autour de moi.
Comme tu vois, j'ai réalisé beaucoup de choses cette année. J'ai aimé ça et j'ai bien l'intention de me faire d'autres bons amis au cours de l'année qui vient. Je pense qu'il sera important d'avoir de bons amis en 2012 pour pouvoir être bien informé de tout ce qui se passe dans le monde, pour pouvoir être de bon conseil à plus de gens et, surtout, pour être plus heureux.
Parce que tu vois, l'année 2012 sera pleine de défis. L'Europe va vraisemblablement se donner un gouvernement fédéral capable d'emprunter sur les marchés pour éviter que la crise monétaire européenne ne s'étende au reste du monde. Les États dotés de grandes forces militaires devront se retenir de faire des proclamations belliqueuses durant cette période d'incertitude. Les grandes fortunes devront remettre en question le système financier actuel et collaborer avec la société civile à la recherche de solutions durables. Il faudra réfléchir à tout ce qui réduit l'intelligence des peuples, notamment la concentration de la presse, les secrets d'État, les secrets d'entreprises, l'intimidation des populations et la propagande. Tout au cours de l'année, il sera nécessaire de se rappeler que les fondements de l'économie mondiale reposent sur une production alimentaire sable et que la paix sociale est tributaire du respect de la personne humaine.
À propos de respect de la personne humaine, ma plus belle expérience de l'année a été à la place du Peuple, au métro Square-Victoria. J'y ai côtoyé des gens engagés, indignés pour les mêmes raisons qui m'ont poussé à me trouver des bons amis. L'occupation du parc, qui a duré plus de six semaines, a été un immense succès sur beaucoup de plans. Il a été démontré que, lorsque la volonté est là, il est possible pour des gens ayant des visions très différentes du monde de s'écouter et d'apprendre les uns des autres. Il a aussi été démontré que notre modèle de société actuel comporte de graves lacunes aux niveaux de l'aide aux sans-abris, aux toxicomanes et aux personnes souffrant de troubles psychiatriques.
L'intégration de ces plus démunis de la société au sein mouvement Occupons Montréal a été réussie, bien que seulement en partie à cause du manque de temps et de renforts et au prix d'une image moins favorable, mais elle a réussi. Malheureusement, au lieu de reconnaître ces succès d'intégration, les médias et la Ville de Montréal ont choisi de marginaliser le mouvement, clamant que le message avait été entendu.
Ceci m'amène à formuler mon souhait, cher Père Noël. J'aimerais que tous les gens qui ont demandé à ce que les mouvements Occupons mette fin à leurs manifestations m'expliquent ce qu'ils comptent faire au cours de l'année 2012 pour contribuer à mettre en place des solutions aux problèmes mondiaux auxquels nous faisons face. Pour t'aider, voici quelques personnes influentes desquelles j'aimerais obtenir une réponse :
Agnès Gruda, le 22 novembre dans La Presse, prédisait que les indignés montréalais fonçaient «dans un mur» et constatait que «la dénonciation des injustices et des inégalités passait de plus en plus sous le radar». J'aimerais savoir si dans ses textes elle arrêtera d'isoler «le noyau de manifestants originaux» du reste de la société civile, ce qui nuit aux efforts de conscientisation et de politisation de la population, et si elle cherchera à proposer ses propres solutions à ses lecteurs avertis.
Mario Roy, le 22 novembre dans la Presse, déclarait que le mouvement s'était «effiloché sans panache et sans gloire», et qu'«à supposer qu'il l'ait déjà été, le square n'était plus un lieu de débats», puisqu'«une fois épuisés les lieux communs», ils n'auraient plus rien à dire sur le plan politique. J'aimerais savoir s'il fera l'effort de ne pas écrire comme un éteignoir d'espoir et s'il ne se bornera pas simplement à dénoncer la «voracité du fisc», les «excès de la haute finance», les «dettes des gouvernements» et les «inégalités sociales», mais qu'il cherchera à proposer ses propres solutions au «citoyen moyen» à qui il déconseille de «cultiver cette vision manichéenne des choses qui, de tout temps, a été le propre du militant».
Gérald Tremblay, le 21 novembre, invitait les indignés à partir suite aux informations qu'il avait reçues et qui lui faisait craindre du grabuge. Il rappelait que «les valeurs de dignité humaine, de justice sociale, ce sont les valeurs des Montréalais» et il pensait que «pour les indignés, la meilleure façon, c'était maintenant de se dire: "Trouvons une autre façon d'exprimer nos valeurs."» J'aimerais savoir ce qu'il compte faire en 2012 pour aider les Montréalais à se réveiller et à se politiser afin de reprendre le contrôle du système politique en place et de proposer des solutions démocratiques aux problèmes mondiaux.
Je te remercie d'avance et j'ai bien hâte de voir ce que tu m'auras apporté le 25 décembre!
Un garçon très sage,
François xxx
Liens :
S'indigner autrement Agnès Gruda, La Presse
La rue, la nuit Mario Roy, La Presse
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