lundi 11 novembre 2013

La Justice canadienne est-elle désuète?

Ces jours-ci, on entend le premier ministre du Canada s'en prendre aux cours de justice comme si celles-ci entravaient le travail de l'exécutif :

“We were blocked by the other parties in the minority parliaments, and now we are being blocked in the courts” (source).

Il est difficile de savoir ce que pense réellement l'Honorable Premier Ministre Stephen Harper. Notez bien qu'en parlant d'honneur pour désigner cet homme très influent, je m'applique à respecter les usages du système parlementaire canadien : ça n'indique pas de jugement moral de ma part.

Bien honnêtement, je ne sais pas pourquoi monsieur Harper fait ce qu'il fait. Je pose l'hypothèse qu'il pense que c'est de bonne guerre d'employer tous les moyens qui ne sont pas explicitement interdits pour obtenir et conserver le contrôle de l'exécutif. Sur la base de cette hypothèse, plusieurs questions se présentent :

Lorsqu'on emploie l'analogie de : «bonne guerre», de quelle guerre s'agit-il? Qui sont les protagonistes du conflit? Et quelle est la victoire recherchée?

Selon le Larousse,

(C'est) de bonne guerre, se dit d'un comportement habile et rusé, qui répond à une attaque, une critique, une concurrence et qu'on considère comme légitime (source).

La question  pratique serait donc de savoir ce qui est considéré comme légitime. La question de fond, et la plus intéressante selon moi, serait de savoir ce qu'on entend par la légitimité. Une chose est dite « légitime » si elle est fondé en droit (source). J'en arrive donc à vouloir savoir ce qu'on entend par le «droit». Voici ce qu'en dit le CNRTL :


Étymol. et Hist. A. Gén. au sing., employé absol. 1. 842 « ce qui est moral et juste, l'ensemble des principes moraux et de justice qui sont censés régir les relations entre les hommes » (Serments de Strasbourg ds Henry Chrestomathiet. 1, 6); 2. a) 1155 « lois et coutumes d'un peuple, législation » (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 5238); b) début xiiies. « règlement ou principe particulier » ici droit del geu (R. de Houdenc, Vengeance Raguidel, éd. M. Friedwagner, 5768);c) fin xiiies. « science des lois » (R. Lulle, Doctrine d'enfant, éd. A. Llinarès, § 76). B. Au sing. et au plur. 1. ca 1100 « ce qui est permis ou exigible selon les principes d'une morale » (Roland, éd. J. Bédier, 3290); 2. ca 1100 « ce qui est permis ou exigible selon la législation ou des règlements officiels » ici spéc. avoir dreit (en) « avoir des droits (sur) » (Roland, 2747); 3. a) 1160-74 « ce qui est dû selon un règlement, une loi, un traité; redevance » (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, III, 3770); b) ca 1455 « revenu, salaire pour quelque chose » (Archives du Nord, B 3537, no125792 dsIGLF). Du b. lat. directum, substantivation de l'adj. directus (droit2, droite*), attesté au vies. au sens général de « justice, application des principes du droit » (Édit de Chilpéric ds Nierm.), puis au viiies. au sens de « règles du droit, ensemble des lois » (Concil. Vern., ibid.) et de « droit officiel sur quelque chose (cf. B 2 supra) » (D. Karolin., ibid.),cf. aussi au vies. verbum directum « la parole juste, le bon droit » (Grégoire de Tours, ibid.). (source)


En dépeignant la Cour comme un adversaire de l'exécutif, monsieur Harper s'engage dans une critique radicale des fondements du système politique actuel. Par le fait même, et suivant la signification de la légitimité, mon hypothèse m'amène à conclure que monsieur Harper croit que les lois et coutumes en usage au Canada sont en opposition avec ce qui est moral et juste.

Mon hypothèse se vérifie-t-elle? Plusieurs décisions de monsieur Harper sont en accord avec elle : les prorogations à répétition, le contrôle de l'information, l'encadrement des journalistes. Pour en avoir le cœur net, il me faudrait avoir accès à ce que pense réellement monsieur Harper, ce qui n'est certainement pas envisageable si j'ai raison à son sujet.

Puisque l'exécutif a une énorme influence sur toutes les questions d'intérêt pour le Canada et ses habitants, il serait, à mon avis, juste et moral que toute intention de changer les lois et coutumes soit explicite, de même que les raisonnements qui amènent à cette intention. Sans cela, les institutions démocratiques sont effectivement tombées en désuétude et le Canada actuel est quelque chose de complètement nouveau et inconnu.

Références:

«Prime Minister Stephen Harper calls courts enemy of Senate reform», Tonda MacCharles, The Star.

Dictionnaire Larousse, expression : «de bonne guerre».

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, le mot «droit».

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