Hier, ma douce moitié m’a envoyé un lien vers un article de Marc Cassivi (Le Québec anti-intellectuel) écrit en réaction à une chronique de Patrick Lagacé (Le Québec selon Wajdi Mouawad). Il faut dire qu’elle savait que ça m’intéresserait. J’ai lu avec délectation ces deux textes et la réponse de Patrick Lagacé à Marc Cassivi sur son blogue (Wajdi Mouawad, l’entrevue (et ma réponse à Marc)). En passant, je me permets de déplorer une grave déficience du site de France culture. La série d’entrevues avec Wajdi Mouawad n’y est plus disponible (voici ce qui en reste), ce qui ouvre la voie à la disparition de ces documents de notre mémoire collective. Ceci illustre bien le peu de cas qui est fait, même en France, de la préservation des documents culturels produits sous forme numérique. Pensez un peu à toutes les pièces de théâtre de l’antiquité qui ont été perdues et dont on ne conserve que des fragments ou des mentions. Conserver en un lieu facilement accessible des petits fichiers audio ne coûte rien à notre génération et s’avérera inestimable pour ceux qui tenteront de comprendre notre époque. Avis aux intéressés.
Mouawad, décidément, a fait couler beaucoup d’encre ces derniers mois. Rappelons brièvement les circonstances.
Mouawad a engagé son ami Bertrand Cantat pour jouer la musique de la trilogie : « Des femmes » (Les Trachiniennes, Antigone, Électre, trois pièces de Sophocle). Cantat est connu pour avoir été le chanteur de Noir Désir, un groupe rock français bien aimé au Québec. Tristement, il est connu aussi pour avoir tué sa compagne, l’actrice Marie Trintignant dans un acte d’une terrible violence (une violence malheureusement trop commune). La justice des hommes a suivi son cours : jugé, condamné et ayant purgé sa peine, Cantat est libre de refaire quelque chose de sa vie. Lorsque la venue éventuelle de Cantat au Québec a été dénoncée (par qui déjà?), une polémique s’est engagée au Québec. Une polémique non pas fabriquée de toute pièce par des chroniqueurs en panne d’inspiration, mais un véritable débat d’idées portant sur des questions fondamentales : Qu’est-ce qui est pardonnable? L’auteur d’un crime horrible doit-il être écarté de la scène? Présenter un homme ayant tué sa compagne dans une trilogie intitulée «Des femmes» est-il un choix forcément mauvais? Comment comprendre la réelle portée de ce choix? Est-ce bafouer les femmes? Est-ce encourager la perpétuation de la violence? Est-ce au contraire un choix courageux, forçant les Canadiens et les Québécois à faire face à leurs propres contradictions dans le regard qu’ils portent sur la justice, la rétribution, la tolérance, l’opprobre? Quel est le rôle de l’art? Quels sont les devoirs de l’État?
Dans sa chronique de mardi, Patrick Lagacé n’a pas la langue dans sa poche : Wajdi Mouawad est pleurnichard et ce qu’il a dit sur le Québec à l’entrevue accordée à Catherine Pont-Humbert en 2009 tient de la caricature méprisante. J’ai écouté l’entrevue et je partage son point de vue. (Quoique là où il entend seulement du mépris, j’entends aussi de l’ignorance. Mais, bon, on ne se chicanera pas pour des virgules.)
Dans son billet de jeudi, Marc Cassivi répond à Lagacé qu’il ne faut pas pour autant rejeter l’image que Mouawad nous renvoie de nous-mêmes. Ce genre d’introspection, dit-il, est rare et « nos blessures d'orgueil, notre susceptibilité, notre déni de certaines réalités nous empêchent parfois collectivement d'y voir clair ». Pour Cassivi, le Québec est une société profondément anti-intellectuelle « où la culture et le savoir ont une odeur suspecte ». C’est un point de vue difficile à défendre et que Jean-François Lisée pourfend fort joliment dans son blogue (Le Québec, anti-intello? Wô Menute !).
Les commentaires qui suivent les articles reflètent une grande diversité d’opinions et j’éprouve énormément de gratitude envers ces gens qui ont partagé leurs pensées de si bon cœur. J’ai envie de suivre leur exemple et de parler de ma propre expérience d’intégration.
Je suis né Québécois, mais j’ai commencé l’école en France. Au moment où ma famille est revenue au Québec, après quatre années passées à Paris, j’étais un parfait petit français. J’ai intégré le système scolaire québécois en sixième année à l’âge tendre de neuf ans. Ma différence de maturité et mon accent français faisaient de moi quelqu’un d’étrange pour mes camarades et j’ai été injurié et intimidé à plusieurs reprises. Ceci me fait penser à Robert Lepage que Wajdi admire et qui a connu du «bullying» à cause de son alopécie. Les enfants ne sont pas exempts de cruauté et la civilité doit être apprise.
Toujours est-il que je me suis déterminé à adopter l’accent québécois et au bout de quelques années, c’était chose faite. Wajdi Mouawad a connu la même urgence d’apprendre lorsqu’il est passé du Liban à la France et je peux comprendre la colère qu’il a éprouvée à quitter ce qu’il avait gagné en France lorsqu’il est venu au Québec. Si j’avais été déraciné à l’adolescence et placé dans la situation d’avoir à adopter un nouvel accent, j’aurais probablement pensé : « Voulez-vous rire de moi? No way, tabarnak! »
Je veux bien le dire : Wajdi a été con dans cette entrevue. Une connerie bien ordinaire avec son lot de préjugés et d’idées inabouties. Je le dis sans méchanceté, car je suis le premier à reconnaître que je dis parfois des conneries. Cependant, je félicite Wajdi Mouawad de prendre la parole. Sans logos (ou sans mots), on ne dirait pas de conneries, mais on ne serait pas non plus humains.
Jean-François Lisée donne une très inspirante définition de l’anti-intellectualisme : « l’anti-intellectualisme… c’est d’affirmer des choses sans prendre la peine de les démontrer ». Inspirant et brûlant d’actualité.
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