Cher Alexis St-Gelais
Dans votre billet de ce matin, vous nous invitez à « faire comprendre à une majorité de Canadiens et surtout à leurs dirigeants politiques que le fédéralisme plurinational constitue la meilleure solution à la construction harmonieuse tant du Québec que du Canada ». Je vous encourage vivement à développer vos idées davantage et j'attends la suite de vos écrits avec impatience. Les Québécois sont avides d'idées qui portent à la réflexion (plutôt qu'à l'indignation). Dans mon commentaire, je vous faisais part de l'existence d'obstacles à ce projet. Permettez-moi de jeter quelques idées sur l'écran sans faire trop de mise en forme. Par souci d'efficacité, je vais recourir à des prosopopées et personnifier à outrance par l'usage de majuscules.
Le Canada du Citoyen, de la Cour et du Législateur
À en croire le Législateur fédéral et la Cour Suprême, le Canada est bien constitué et il ne reste que des détails à régler au fur et à mesure que de nouveaux problèmes viendront à leur attention. Ce travail continu d'harmonisation entre les Lois et l'État se fait de façon organique grâce aux interactions entre le Citoyen, le Législateur et la Cour. Le Citoyen exerce son pouvoir par l'intermédiaire des élections démocratiques, des projets de lois et de la Charte canadienne des droits et libertés. Le Législateur encadre le Citoyen grâce aux Lois et la Cour arbitre les disputes. C'est un système qui repose sur la confiance mutuelle garantie par une Presse libre et indépendante.
L'État inachevable du Libertarien
Un obstacle majeur au dialogue avec le Canada anglais est la Haine de l'État. Cette Haine est attisée par le Libertarien, venu des États-Unis et rendu Canadien par l'entremise de l'Institut Fraser et de l'Institut Économique de Montréal, entres autres personnages. Pour le Libertarien, la Constitution canadienne est un gage de Liberté contre l'oppression de l'État. Tant qu'elle n'est pas définitive, la Constitution appartient encore au Citoyen. Après, elle lui échappera et l'État deviendra totalitaire.
Pour le Libertarien, il faut se méfier de l'État embryonnaire qui sera la Tyrannie de demain. Toute tentative de finaliser la Constitution sera farouchement combattue.
L'Uniformisation rêvée du Disciple de Drucker
L'Économie actuelle cherche à étendre la rationalisation. La rationalisation du travail a permis des gains de productivité inégalés dans l'Histoire. Des expérimentateurs comme Taylor et Drucker ont démontré que le travail humain peut être rendu plus efficient grâce à une analyse systématique des tâches constituantes à l'aide de Méthodes idéales.
Selon le Disciple de Drucker, ces Méthodes ont été appliquées grossièrement lors de l'industrialisation, causant l'apparition de Syndicats d'employés, mais la Connaissance a fait des progrès qui permettent maintenant de rationaliser non seulement le travail de l'Employé, de l'Entrepreneur et du Gestionnaire, mais également le travail du Législateur. La méthode employée par monsieur Charest pour faire progresser les Lois s'inscrit parfaitement dans la logique de cette Uniformisation rêvée par le Disciple de Drucker. (Nous en avons eu une indication lors des audiences sur le projet de loi 127, lorsque Dr. Bolduc a affirmé son admiration pour Drucker mais n'a jamais répondu aux critiques des représentants de la Santé.)
Pour le Disciple de Drucker, la Connaissance vivante repose entre les mains d'experts et se transmet par le contact humain. Elle est morte dans les Universités, dangereuse dans les Mythes et insensée dans la Littérature (et donc inutile dans la Presse). Pour lui, les non-initiés ne comprennent pas le Rêve de création de la Richesse et luttent par ignorance contre l'Uniformisation qui rendra l'Humanité enfin heureuse durablement.
L'avenir du fédéralisme plurinational
Alexis, je souscris à votre description du fédéralisme plurinational mais je ne vois pas comment faire progresser vos idées au sein des Mouvances libertarienne et druckérienne. Tant que ces dernières ne seront pas ouvertes à vos idées et qu'elles dicteront à la Presse comment présenter les Idées au Public, vous aurez bien du mal à vous faire comprendre par le Canada anglais.
Cela dit, je vous admire et j'espère que vous en inspirerez d'autres à prendre la parole.
Cordialement,
François Genest
M. Genest,
RépondreSupprimerCe que vous soulignez est intéressant. Dans mon exposé, je m'attardais surtout à l'aspect socio-politique et identitaire du fédéralisme, davantage qu'au côté idéologique de la chose. Pourtant, les oppositions peuvent, en effet, venir de part et d'autre.
Les libertariens et, plus généralement, toute personne soucieuse de réduire la tyrannie potentielle de l'État contre les citoyens devraient adhérer au fédéralisme plus qu'à nombre d'autres formes d'organisation politique, et peut-être plus particulièrement au fédéralisme plurinational. Certes, cette mouvance ne reconnaît en général pas vraiment des notions comme celle de nation et d'identité collective, car pour eux la société est simplement la cohabitation de nombreux individus.
Cependant, la fédération, de par sa nature même, est une excellente garantie contre la tyrannie de l'État. En répartissant l'exercice du pouvoir entre plusieurs gouvernements "concurrents" sur un même territoire, on réduit d'autant la possibilité que l'un d'entre eux bascule vers le totalitarisme sans qu'un autre ne puisse agir en garantie.
En outre, même si la fédération plurinationale fait appel à certains concepts collectivistes, elle est condamnée à demeurer à jamais un projet inachevé de nature à rassurer les craintes que vous évoquez. Puisque les nations et les groupes humains sont des entités dynamiques, une fédération plurinationale doit être le lieu d'une négociation constante entre les gouvernements, les nations, les citoyens. Oui, il doit exister une procédure telle que la Cour suprême pour jouer le rôle d'arbitre, mais celui-ci ne doit pouvoir être appelé qu'en dernier recours et le pacte fédératif lui-même doit demeurer souple et renégociable de bonne foi. Dès lors, jamais l'État ne devient "figé".
Quant aux préceptes de Drucker, il s'agit probablement d'une extrapolation trop importante des idées d'origine de l'auteur. Il est facile, en prenant une thèse développée à une époque donnée, dans un contexte donnée et en réponse à un problème donné et en la généralisant d'en venir à des aberrations. L'uniformisation souhaitée par le modèle économique actuel n'est sans doute qu'une étape de l'évolution, qui fera place à autre chose. Sur certains aspects, cette uniformisation se fait avec succès, mais sur nombre d'autres, elle se bute à une résistance de plus en plus forte dans le monde entier. Je crois que l'être humain est assez conscient de la richesse de sa propre diversité pour ne pas se laisser incorporer dans un moule unique.
Plus spécifiquement, la politique telle qu'elle peut être pratiquée aujourd'hui est un obstacle à cette rationnalisation débridée. Il faut certes avoir recours aux experts, mais en conservant toujours son sens critique, une saine prudence et l'avis d'un ou de plusieurs néophytes en contrepoids. Quiconque a le droit de faire de la politique et d'exprimer son avis, expert ou non. Et il ne faut pas oublier que les sciences s'intéressant à l'humain n'ont rien d'exact. Nombre de scientifiques des Humanités reconnaissent d'ailleurs d'emblée ce fait. Ceux qui tentent d'enrober leurs thèses de trop de mathématiques et de démonstrations m'apparaissent les plus suspects.
Ainsi donc, j'ai espoir qu'un libertarien craignant la tyrannie étatique saura voir, dans le principe fédéral, une garantie supplémentaire de sa propre liberté. Quand au disciple de Drucker, c'est en gardant notre prise comme citoyen sur notre monde politique qu'on saura lui faire échec.
Bien à vous,
Alexis St-Gelais
J'ai bien peur que le libertarien ne soit à l'aise dans aucune forme de gouvernement organisé. Le sentiment d'urgence est pour lui le moteur de l'action rationnelle et les structures que le groupe se donne doivent continuellement êtres détruites avant qu'elles n'écrasent son individualité. Il lui faudra, avant de pouvoir l'accepter, appliquer au fédéralisme le principe de «destruction créatrice» qui lui est si cher (et que je ne saisis pas trop).
RépondreSupprimerLe disciple de Drucker est un éternel optimiste et un as de la motivation. Les échecs sont des occasions d'apprendre et d'innover. En partageant les tâches et en s'assurant que personne ne se laisse aller à la paresse ou au pessimisme, le succès est assuré. Il est d'accord avec vous mais il réserve sa confiance aux experts des sciences sociales qui parlent son langage. En attaquant lesdits experts, vous démontrez à ses yeux votre ignorance.
Le libertarien s'arroge le droit de prendre le pouvoir par la démagogie en inondant la presse de sa publicité. Le disciple de Drucker, lui, a déjà le pouvoir et peut se permettre d'ignorer la presse.
Votre mission, si vous l'acceptez, sera de démontrer au libertarien le totalitarisme latent dans sa propre organisation et au disciple de Drucker qu'il doit prendre des cours de mathématiques. ;-)
François Genest