Leçon d'anatomie à l'aide d'une grenouille |
Bien
que je sois né aux Pays-Bas, je suis un enfant de la mondialisation. C'est-à-dire
que je suis de culture québécoise et que j'ai grandi là où la profession de mon
père menait notre famille nucléaire moderniser l'industrie de l'assurance. Ma
langue maternelle est le français. J'ai appris l'anglais une première fois dans
une garderie Montessori de Brossard tenue par une enseignante d'origine indienne,
puis une deuxième fois lorsque ma famille s'est définitivement installée au
Québec tout juste après un séjour de quatre ans dans la région parisienne
pendant lequel j'ai été imbibé par la langue et la culture française. J'ai donc
été Québécois d'abord par mes parents, puis j'ai été socialisé comme Français
dans mon enfance et je suis redevenu Québécois pour de bon dans les années 1980
au cours d'une période d'intégration de l'âge de 9 ans à l'âge de 14 ans.
Mon
point de vue sur le Québec est enrichi par mon expérience de vie peu banale et ce
point de vue est profitable, je crois, à toute personne souhaitant faire un
examen radical de la question de la souveraineté, comme beaucoup de Québécois
sont amenés à le faire ces jours-ci aux lendemains de la cuisante défaite d'un
parti dont la raison d'être est de faire du Québec un pays. Permettez-moi de
partager avec vous mes réflexions sur le sujet.
Il
existe un peuple Québécois avec une culture nourrie à de multiples sources, mais distincte de celle des autres
peuples. Ce peuple est pour moi une évidence puisque j'ai travaillé longtemps à m'y intégrer. Bien que
les Québécois partagent la langue française avec d'autres régions du monde, il
y a des différences culturelles significatives et spécifiques aux Québécois dans
l'usage de cette riche langue internationale. Le peuple Québécois a
l'aspiration légitime et commune à tous les peuples de vivre en liberté, sans
la tutelle ou la domination d'une volonté extérieure.
L'idée
de la souveraineté du Québec est largement tributaire de ce besoin
d'autodétermination frustré maintes fois dans l'imaginaire québécois par la
domination des Anglais, de l'Église catholique, des Canadiens. Cependant, la souveraineté
n'est pas identique à l'autodétermination. La souveraineté est une chose
politique qui est instituée par les humains en réponse au besoin d'autodétermination
des peuples. J'appuis bien sur les mots : «en réponse». Pour bien comprendre la
souveraineté, il est essentiel de réaliser qu'il s'agit d'une institution et,
sur cette base, de s'intéresser à la conception de la souveraineté à notre
époque.
Pour préparer le terrain — et pour donner un exemple d'examen radical d'une idée — je me
tourne d'abord vers un dictionnaire étymologique[i].
Ce qui vient en tête de liste pour la souveraineté, c'est l'idée d'élévation, de sommet. On trouve
aussi les idées : «pouvoir, puissance publique, peuple, nation, territoire,
État, prééminence, domination ». Le mot
« souveraineté» est dérivé de « souverain », issu de l'ancien provençal :
« sobran ». Ce qui est souverain est « suprême, excellent, au plus haut point
dans son genre ». C'est aussi ce qui «règne», qui «exerce le pouvoir». La
souveraineté est associée à l'idée de Dieu, « qui règne sur tout ».
On
doit s'attendre à ce que l'idée de souveraineté évoque le « royaume » et le
roi, certainement les premières institutions politiques après celle de la
guerre. Ceci m'amène à la conception actuelle de la guerre, très bien décrite
par Monique Chemillier-Gendreau[ii]
dans son essai : « De la guerre à la communauté universelle ». Cette juriste émérite
montre comment notre idée de la guerre ne correspond pas à la réalité et elle nous invite
à repenser le droit international. Elle nous apprend que si Hugo Grotius, premier
grand penseur du droit international, définissait la guerre comme « l'état
de ceux qui tâchent de vider leurs différends par les voies de la force
considérées comme telles », c'est plutôt un modèle interétatique qui s'est
imposé dans cette discipline et qui a conduit à restreindre l'usage du mot «
guerre » aux formes de violence entre États :
À partir du XIXe siècle, la
doctrine à ce sujet est bien établie. La guerre est alors l'affrontement
militaire de deux entités politiques qui se reconnaissent pour telles. Elle est
identifiable en ce qu'elle s'ouvre par une déclaration de guerre (rendue
obligatoire par la Convention III de La Haye du 18 octobre 1907) et repose sur
le critère formel de la division du monde en États souverains. (…) La guerre
est un fait. Elle est « un acte de violence destiné à contraindre l'adversaire
à exécuter notre volonté », selon l'expression de Clausewitz, mais la volonté
dont il est question ici est celle des États.
Froidement,
un État souverain a le droit de faire la guerre, et ce droit est indissociable
de la souveraineté. Cependant, l'expérience du XXème siècle et du
XXIème siècle naissant nous indique qu'il y a des violences qui se
produisent régulièrement en dehors de l'institution de la guerre interétatique et
qu'on ne peut pas honnêtement dissocier de la guerre :
La frontière se fait imprécise
entre l'affrontement de deux armées nationales que l'on nommerait « guerre » et
d'autres formes de violence qui seraient différentes, comme celle qui amène
deux individus à en venir aux mains, ou les groupes de supporters de deux
équipes de football à entrer dans un déchaînement de violence, ou encore une
minorité ethnique à organiser des manifestations violentes contre l'État auquel
elle est intégrée contre son gré. (…) Ce que, pendant des siècles, la théorie
des relations internationales a désigné sous le nom de guerre se fait de plus
en plus rare.
La
souveraineté du Québec portée par René Lévesque, la «souveraineté-association»,
était en phase avec l'esprit fondateur des Nations unies, dont l'ambition est d'interdire
aux États la pratique de la guerre. Pour le premier chef du Parti Québécois, il
s'agissait de faire un pays au sein duquel le peuple Québécois bénéficierait du
principe d'égalité souveraine des membres de l'ONU. Cependant,
Chemillier-Gendreau démontre comment ce principe est en contradiction avec
l'interdiction du recours à la force et a l'effet paradoxal de protéger le droit
des États à faire la guerre. On est amené à faire un constat d'échec de l'ONU:
Face à la multiplication des cas
de recours à la force, le Conseil de sécurité s'est accommodé au fil des années
d'une attitude de rodomontades sans effet, demandant lors de chaque irruption
de violence « un cessez-le-feu immédiat » qui, lorsqu'il a eu lieu, a rarement
été le résultat de l'intervention de l'Organisation. De ce point de vue, et par
cette reconnaissance fondamentale de la souveraineté, le système issu de la
Charte se rattache encore aux catégories classiques du droit international.
Il
y aurait encore beaucoup de sujets à aborder pour bien cerner l'idée de la
souveraineté, dont celui des États issus de la décolonisation et de l'éclatement
de l'Union soviétique ou encore celui de l'impact de la mondialisation sur les
États. On ne peut pas projeter de faire un pays sans considérer le contexte
politique mondial. Pour moi, en fin de compte, l'idée de souveraineté portée
par le Parti Québécois ne résiste pas à l'analyse. Je ne sais pas ce que veut
dire aujourd'hui : « la souveraineté du Québec », pas plus que « l'indépendance du
Québec », et je ne connais personne qui soit en mesure d'en faire la promotion
sans occulter le constat d'échec qui s'impose concernant l'Organisation des
Nations unies.
Je
pense que le Parti Québécois confond le Québec et le peuple Québécois. Le
peuple Québécois vit sur les terres du Québec en relative bonne entente avec
ses autres habitants, mais pas toujours, et tout projet de pays doit prévoir les
modalités qui permettront de régler les conflits, tant internes qu'externes, si
tel est le projet qu'un mouvement choisisse un jour de porter.
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