extrait d'une brochure
trouvée sur le site d'un hôpital universitaire québécois
Une activité est une non-valeur ajoutée si elle ne participe ni à la
réalisation de la raison d'être de la visite du patient, ni au fonctionnement
adéquat de l'hôpital, ni au respect des lois ou des normes; ou si cette
activité a perdu sa justification avec le temps mais est encore effectuée par routine.
Note : Qu'entend-on ici par «non-valeur»? Voyons si
on peut trouver une bonne définition.
extrait du Littré
(http://www.littre.org/definition/non-valeur)
non-valeur , substantif féminin
1 Manque de valeur. Une terre en non-valeur. Du revenu que
produit une maison, il faut déduire tant pour les non-valeurs. Fig. Je
ne sais si je pourrai faire valoir toutes mes prétentions légitimes, et si je
ne trouverai pas bien des non-valeurs, [Fontenelle, Lett. gal. Œuvr. t. I,
p. 491, dans POUGENS]. Dans le commerce, non-valeur se dit de marchandises qui
ne se vendent pas, d'articles qui ne doivent pas être portés en recette.
2 Terme de finances et de commerce. Certaines créances qu'on
n'a pu recouvrer. C'est celui [dîme
ecclésiastique] de tous les revenus qui fait le moins de non-valeur, ou, pour
mieux dire, qui n'en fait point du tout, [Vauban, Dîme, p. 12]. Terme de
finances. Fonds de non-valeur, fonds composés de centimes additionnels payés
par les départements au prorata de leurs facultés contributives, et servant au
dédommagement du contribuable qui justifie d'une perte de revenu. En termes
militaires, non-valeurs, les musiciens et les soldats faisant près des
officiers le service d'ordonnances.
Note : Ainsi, les non-valeurs peuvent être des
biens, des créances ou des personnes, mais pas des activités, si on se fie au
Littré. Cherchons une autre source.
extrait du Centre
national de ressources textuelles et lexicales (http://www.cnrtl.fr/definition/non-valeur)
A. − 1. LÉGISL. FINANCIÈRE. Absence de rendement financier
(d'une exploitation, d'une forme de perception des impôts indirects).
♦
Admission en non-valeur. Décision de ne
pas poursuivre, provisoirement, le recouvrement d'une créance en raison de
l'insolvabilité ou de l'absence du débiteur (Admin. 1972).
− Mise en non-valeur. Décision
à considérer une créance comme définitivement irrécupérable (Admin. 1972).
− P. méton. Créance irrecouvrable. Le défaut de surveillance y ajouta d'autres dommages: des non-valeurs,
des oublis, des crédits véreux, des erreurs d'écritures, même des soustractions
d'articles (Reybaud, J. Paturot, 1842, p.389).
2. Marchandise non vendue qu'on ne peut porter en recette. Tout produit non demandé est une perte pour
le producteur, une non-valeur commerciale (Proudhon, Propriété, 1840,
p.232).
B. − Au fig.
1. Absence de valeur (d'une personne ou d'une chose). Il promenait à travers la vie l'âpre
conscience de sa non-valeur (Courteline, Train 8h47, 1888, 1repart., ii,
p.16).Petite discussion théologique avec
un prêtre au sujet de la grâce sanctifiante et de la non-valeur absolue, selon
lui, des bonnes œuvres accomplies hors de l'état de grâce (Bloy, Journal,
1903, p.179).
2. Chose sans valeur. Dans
les sociétés modernes, le mort est simplement un zéro, une non-valeur
(Goncourt, Journal, 1863, p.1214).
3. Vieilli. Personne considérée comme bonne à rien. Synon.
incapable, nullité, zéro. Cette année-ci,
nous n'avons guère que des non-valeurs, grâce à cette imbécile de Léocadie
Marron, qui a été nous acheter trois filles dont la taille a tourné
(Gobineau, Nouvelles asiatiques, 1876). Lesable
haussa les épaules: «Un pauvre sire, un pauvre sire. Il ne voit rien dans les
proportions exactes. Il se figure des histoires à dormir debout. Pour nous,
c'est une non-valeur» (Maupassant, Contes et nouvelles, 1884).
Note :
On retrouve ici essentiellement les mêmes définitions que dans le Littré. Que
peut-on apprendre des philosophes, maintenant?
extrait de l'Essai
politique sur le commerce de Jean-François Melon de Pradou, publié en 1734
«Le commerce ne peut être florissant que lorsque chacun se
sert avec avantage de tout ce qui lui appartient, terres, maisons, rentes,
effets publics. Car si quelques-unes de ces parties est sans valeur c'est un
superflu inutile dont le propriétaire n'achète plus son nécessaire,
c'est-à-dire la denrée de son voisin, …ainsi l'ouvrier ne vend plus l'industrie
qui lui procuroit du pain et du vin, et l'avilissement de la denrée décourage
le laboureur hors d'état de payer l'imposition. De là naissent de nouvelles non-valeur, tant publiques
que particulières. Les citoyens abondent en effets inutiles, et la plupart
manquent du nécessaire qui est à leur porte, superflu lui-même, et de nul usage
au propriétaire. Il y a une liaison si intime dans les parties de la société,
qu'on ne saurait en frapper une, que le contre-coup ne porte sur les autres.»[i]
Note : C'est
une bonne piste! Au XVIIIe siècle, la «non-valeur» est adoptée pour désigner la
propriété qui n'est pas mise à contribution. En effet, au siècle des Lumières, on s'évertue à repenser l'État et son bien.
Dans ce court extrait de
Melon, il n'est pas évident que les
activités puissent être considérées comme des non-valeurs. Mais à l'époque, l'esclavage
était autorisé dans les colonies françaises. Si on suspend notre répulsion pour
voir comment Melon tente de le justifier (son œuvre semble plutôt gentille
hormis ce point), on peut lire ceci:
«Que, par une opération particulière, le bien qui appartient
à Jacques lui soit ôté pour en enrichir Pierre, l'État n'y perd rien; et il se
peut même que Pierre, meilleur citoyen, qui a rendu des services à la patrie,
en fera un usage plus utile; mais l'opération est détestable, elle ouvre la
porte à l'injustice, à la haine, dépouille le juste possesseur, met les
propriété dans l'incertitude : c'est ce que les relations nous content de plus
odieux du pouvoir oriental (sic).
Mais que, dans une opération générale, dont le législateur prévoit un bien à sa nation, il s'ensuive le dommage de quelque particulier, alors ce dommage a une compensation si grande, qu'il doit être nul devant le législateur, qui n'a pu faire entrer dans son plan les intérêts de détail. C'est ainsi qu'une bataille gagnée, ou une ville prise, coûte des hommes et de l'argent; mais le législateur ne choisit ni ceux qui doivent périr, ni ceux qui doivent payer. C'est une suite de la loi où nous sommes engagés pour le service de l'État; et s'il était permis d'élever la comparaison jusqu'à l'Être-Suprême, c'est ainsi que les perfections de l'univers sont accompagnées de quelque mal physique et moral, sujet de scandale pour les esprits qui n'embrassent pas la totalité.»
Mais que, dans une opération générale, dont le législateur prévoit un bien à sa nation, il s'ensuive le dommage de quelque particulier, alors ce dommage a une compensation si grande, qu'il doit être nul devant le législateur, qui n'a pu faire entrer dans son plan les intérêts de détail. C'est ainsi qu'une bataille gagnée, ou une ville prise, coûte des hommes et de l'argent; mais le législateur ne choisit ni ceux qui doivent périr, ni ceux qui doivent payer. C'est une suite de la loi où nous sommes engagés pour le service de l'État; et s'il était permis d'élever la comparaison jusqu'à l'Être-Suprême, c'est ainsi que les perfections de l'univers sont accompagnées de quelque mal physique et moral, sujet de scandale pour les esprits qui n'embrassent pas la totalité.»
Note :
Suivant la pensée de Melon précédemment exprimée, un homme qui est la propriété
d'un autre peut être une non-valeur pour lui-même (à supposer qu'il se conçoive
comme sa propre propriété) mais contribuer au bien de l'État en tant que
propriété d'un autre, et c'est la perfection de l'État qui justifie l'injustice
particulière qui lui est faite de le priver de sa liberté. On dirait
aujourd'hui que ceci est un effort de légitimation d'un état de fait que l'auteur
n'est pas disposé à remettre radicalement en question. Melon ne va toutefois
pas jusqu'à dire que l'activité de l'esclave est un bien dont le maître est
propriétaire, ce qui nous rapprocherait d'une définition de non-valeur qui
inclurait les activités. Qui d'autre interroger?
extrait de De
l'économie de Xénophon, il y a plus de 2200 ans.[ii]
J’ai entendu un jour Socrate s’entretenir ainsi sur
l’économie :
« Dis-moi, Critobule, l’économie a-t-elle un nom de science
comme la médecine, la métallurgie et l’architecture ?
— Je le crois, dit Critobule.
— Oui, mais de même que nous pouvons déterminer l’objet de
chacun de ces arts, pouvons-nous dire aussi ce que l’économie a pour objet ?
— Je crois, dit Critobule, qu’il est d’un bon économe de bien
gouverner sa maison.
— Et la maison d’un autre, dit Socrate, si on l’en chargeait,
ne pourrait-il pas, en le voulant, la gouverner aussi bien que la sienne ?
Celui qui sait l’architecture peut aussi bien travailler pour un autre que pour
lui : il en est de même de l’économie.
— Je le crois, Socrate.
— Ainsi, reprit Socrate, celui qui, connaissant la science
économique, se trouverait sans bien, pourrait comme gouverneur de maison, ainsi
que le faiseur de maisons, recevoir un salaire ?
— Oui, par Jupiter, dit Critobule, et même un salaire plus
considérable, s’il pouvait, en administrant la maison, remplir tous ses devoirs
et en augmenter la prospérité.
— Une maison, qu’est-ce donc, selon nous ? Est-ce la même chose
qu’une habitation, ou bien tout ce qu’on possède en dehors de l’habitation
fait-il partie de la maison ?
— Je le crois, dit Critobule ; et, quand même on n’aurait
aucun bien dans la ville où l’on réside, tout ce qu’on possède fait partie de
la maison.
— Mais ne possède-t-on pas des ennemis ?
— Oui, par Jupiter, et quelques-uns beaucoup.
— Dirons-nous que les ennemis font partie de nos
possessions ?
— Il serait plaisant, dit Critobule, qu'en augmentant le
nombre des ennemis, on reçût pour cela un salaire.
—Tu disais pourtant que la maison d'un homme est la même
chose que la possession.
— Par Jupiter, dit Critobule, quand on possède quelque chose
de bon ; mais, par Jupiter, quand c'est quelque chose de mauvais, je n'appelle
pas cela une possession.
— Tu m'as l'air d'appeler possession ce qui est utile à
chacun.
— C'est cela même; car ce qui nuit, je l'appelle perte
plutôt que valeur.
— Et si quelqu'un achetant un cheval, sans savoir le mener,
tombe et se fait mal, ce cheval ne sera donc pas une valeur ?
—Non, puisqu'une valeur est un bien.
— La terre n'est donc pas non plus une valeur, quand celui
qui la façonne perd en la façonnant ?
— Évidemment, elle n'en est pas une, quand au lieu de nourrir
elle produit la pauvreté.
— N'en diras-tu pas autant des brebis ? Quand un homme qui ne
sait pas en tirer parti éprouve une perte, les brebis sont-elles pour lui une
valeur ?
— Pas du tout, selon moi.
— Ainsi, à ton avis, ce qui est utile est une valeur, et ce
qui est nuisible une non-valeur.
— C'est cela.
— La même chose, pour qui sait en user, est donc une valeur,
et une non-valeur pour qui ne le sait pas. Ainsi une flûte pour un homme qui
sait bien jouer de la flûte est une valeur, tandis que pour celui qui ne sait
pas, elle ne lui sert pas plus que de vils cailloux, à moins qu'il ne la vende.
— Oh ! alors, si nous vendons la flûte, elle devient une
valeur; mais si nous ne la vendons pas et que nous la gardions, c'est une
non-valeur pour qui n'en sait point tirer parti.
— Nous sommes conséquents, Socrate, dans notre raisonnement ;
puisqu'il a été dit que ce qui est utile est une valeur, par suite une flûte
non vendue n'est pas une valeur, attendu qu'elle est inutile, au lieu que,
vendue, c'en est une. »
— Alors Socrate : « Oui, mais il faut. savoir la vendre :
car, si on la vend à un homme qui n'en sait pas tirer parti, on ne lui aura pas
fait acquérir une valeur, d'après ton raisonnement.
— Tu m'as l'air de dire, Socrate, que l'argent même n'est
pas une valeur, si l'on ne sait pas s'en servir. (…)»
Note :
On s'interroge donc sur la non-valeur depuis des millénaires, mais nulle part
je ne trouve d'activités présentées sous le vocable de «non-valeur». Je reste
songeur.
[i] cité
dans «Du travail comme non-valeur philosophique? Les années 1740-1780 entre
éthique corporative et pensée sociale», Anne-Françoise Garçon, Université
Rennes 2, texte présenté au Séminaire «Anthropologie de la valeur» (R.Laufer,
A.Hatchuel dir.), Collège International de Philosophie, février 2004.
[ii]
Traduction d'Eugène Talbot, 1859. (http://remacle.org/bloodwolf/historiens/xenophon/economique2.htm)
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