Lorsque je
lis un essai, je m'intéresse aux circonstances dans lesquelles il a été écrit.
L'expérience de l'auteur telle qu'il la rapporte et telle qu'on peut la
comprendre par l'entremise d'éléments historiques et biographiques sont autant
de choses qui permettent de se familiariser avec l'esprit d'une œuvre. On
apprécie mieux Platon quand on connaît la guerre du Péloponnèse. On comprend
mieux Marx quand on sait qu'il a commenté les débats à la Diète rhénane portant
sur le ramassage du bois mort et opposant le droit coutumier à la propriété
privée. Comme j'ai le désir de faire œuvre utile, je trouve pertinent de
fournir certains éléments biographiques à mon sujet.
Je suis né
en 1969 dans une famille dite « nucléaire », c'est-à-dire fortement centrée sur
le couple et les enfants et avec des liens plus relâchés avec le reste de la
parenté. C'était la première génération de ce type, mes grands-parents
maternels étaient cultivateurs et mon grand-père paternel était dentiste dans
un village; tous étaient liés à leur communauté par la vie paroissiale
catholique. Une « révolution tranquille » avait permis aux Canadiens-français
du Québec d'accéder à des positions sociales plus valorisées et de défendre une identité nationale Québécoise. Le souvenir de la
deuxième guerre mondiale était encore terrifiant et le développement économique
libéralisé semblait annoncer la fin des horreurs de la guerre si seulement
l'Occident pouvait gagner la guerre froide contre l'Union soviétique et éviter
l'holocauste nucléaire. Les guerres du Moyen-Orient restaient une énigme pour
l'enfant que j'étais. J'ai eu la chance de partager cette enfance entre la France
et le Québec, une bonne expérience malgré les défis que posaient des
perceptions culturelles que les différences rendaient difficiles à
interpréter.
Les
déracinements fréquents, liés aux impératifs d'emploi de cadre de mon père,
m'ont donné une image négative du travail de bureau. Le stress qu'il semblait
rapporter du travail était difficile à supporter et je me voyais assumer un rôle
d'atténuateur des tensions familiales par l'humour. Ce qui explique sans doute
que je me suis donné comme objectif de remplir un rôle social qui participerait
au bonheur collectif. Par goût des mathématiques, j'ai d'abord fait des études
en actuariat. Puis je me suis lancé en théâtre, pour la communion d'esprit que
produit parfois l'art dramatique. Les circonstances m'ont ramené aux
mathématiques et je me suis lancé dans la recherche fondamentale, espérant
mettre mon plaisir de la réflexion au service de l'édifice de la connaissance.
J'étais
donc, en 2010, un scientifique spécialisé dans les graphes eulériens et leurs
décompositions en cycles quand je me suis finalement désintéressé de la vie
universitaire et que je me suis mis à chercher une autre façon de mettre mes talents
à contribution, une façon plus directe et engageante.