Mémoire de François Genest soumis à madame la Ministre Christine St-Pierre dans le cadre de la consultation :
«Pour une information au service de l'intérêt public»
23 septembre 2011
Introduction
Je réponds avec plaisir à l'invitation de partager avec vous mes réflexions sur le nouveau modèle de régulation des médias québécois dont vous proposez les grandes orientations. Je vous présente ce mémoire en mon nom personnel et j'espère ainsi contribuer au processus démocratique que vous avez institué dans le cadre de cette consultation. Je m'engage dans cet exercice avec le désir sincère de veiller aux intérêts du public, des journalistes et de l'ensemble de la société civile.
Tout comme vous, je constate que des changements structurels sur les plans technologique, économique et social ont entraîné à l'échelle mondiale des mutations importantes dans le domaine de l'information. En tant que garants de leur démocratie, les citoyens québécois ont le devoir de s'assurer que les institutions dont ils ont hérité vont continuer à remplir le rôle qui leur a été attribué. Je reconnais que la préservation de l'intégralité des institutions actuelles est impossible. Cependant, il est nécessaire d'en préserver l'intégrité lorsqu'elles répondent aux besoins du public et d'en restaurer l'intégrité lorsqu'elles ne remplissent plus leur rôle essentiel.
J'espère que ma contribution au débat sera bénéfique et je vous souhaite de réaliser votre souhait de garantir le bon fonctionnement de la presse, la protection des journalistes dans l'exercice de leur métier et le respect du droit du public à une information de qualité.
Le contexte
Avertissement
Tout d'abord, il m'est impossible de dresser un portrait parfaitement objectif de la situation actuelle. Je vais donc tenter de présenter mon point de vue le plus fidèlement possible étant donné les contraintes de cette consultation. En particulier, je constate l'aspect circulaire du processus : cette initiative de votre part vise à garantir une bonne information aux participants à la démocratie et, par ailleurs, afin de s'assurer du bon fonctionnement d'une démocratie, il est nécessaire que les participants soient bien informés. En toute logique, je dois donc supposer être en possession de suffisamment d'informations de qualité pour être capable d'apprécier la pleine portée des changements que vous proposez. Bien que je croie que certaines informations importantes m'échappent, notamment en raison du caractère privé des discussions internes des partis politiques, je suis capable de raisonner en en faisant abstraction et, de toute façon, je demeure persuadé que cet exercice est méritoire.
Qu'est-ce que l'information?
L'information est un champ très vaste. C'est l'objet d'intérêt d'activités humaines aussi variées que la politique, la publicité, le journalisme et l'informatique, pour ne nommer que celles-là. Dans l'absolu, l'information est préalable à toute communication. L'être humain a le propre de communiquer des idées complexes, l'information lui est essentielle et constitue pour lui un besoin primaire. Du point de vue d'un humain, une information de qualité permet d'aspirer au plein épanouissement de son potentiel. Le mot lui-même prend racine dans le latin : « forma » et suggère la perception ou l'arrangement d'une forme interne. D'un point de vue philosophique, cette observation invite à méditer conjointement aux idées d'information, d'existence et de conscience.
Dans le cadre de cet exercice de consultation, l'information est appréhendée dans son acception populaire et à la lumière des sources suivantes : le rapport de madame Dominique Payette, certaines initiatives antérieures (de la part du gouvernement québécois, du Conseil de presse du Québec et de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec), les questionnements comparables à l'étranger et le point de vue de l'OCDE. En définitive mon mémoire s'inscrira dans cette optique mais je vais d'abord présenter deux éclairages qui permettront de mieux suivre mon raisonnement.
L'information de qualité à travers les âges
Je porte plusieurs chapeaux dont celui d'aspirant auteur dramatique. Dans le cadre d'un projet artistique, j'ai fait le choix d'identifier le moment historique de la condamnation à mort de Socrate (en 399 avant Jésus-Christ) avec le moment présent. Ce point de vue me permet de jeter un regard neuf sur les circonstances du procès du célèbre philosophe et de reconnaître nombre de préoccupations actuelles dans celles des contemporains de Socrate. En particulier, le souci de faire la distinction entre l'opinion et la connaissance se révèle être présent chez l'être humain depuis des millénaires. Je reviens souvent à cette idée lorsque je pense à la signification d'une «information de qualité».
L'effet bénéfique pour la société québécoise d'avoir un accès facile à une information de qualité l'emporte sur toute autre considération propre à notre époque. Je prévois que le bonheur futur des Québécois est intimement lié à la liberté d'accès à toute les informations.
L'information numérique
En tant que mathématicien-informaticien, je jette un regard critique sur l'utilisation des outils de la statistique et de la probabilité aux fins de l'imprégnation et de la propagation de l'information. La publicité des opinions dans l'espace public est devenue un art phénoménal et le recours aux données chiffrées permet aisément de mettre au carré la puissance de persuasion de la publicité. (Les chiffres ont eu de tout temps un impact significatif sur la psyché humaine.)
Rappelons que la liberté d'opinion garantie par la démocratie présuppose la possibilité pour les citoyens de se former une opinion éclairée. Cependant je constate avec regret que la statistique (qui pourrait jouer un rôle social utile) est conspuée par le grand public. J'explique cette manifestation populaire par le recours abusif à la statistique. En argumentation, les chiffres devraient servir à appuyer les raisonnements et les rendre plus accessibles. Trop souvent ils sont substitués à la réflexion et masquent de la paresse intellectuelle. Je crois bien que c'est cette paresse devinée qui choque le public.
La théorie de l'information, devenue l'informatique, a permis l'émergence de technologies qui ont révolutionné nos vies jusque dans nos rapports sociaux. À ce sujet, il est notable de remarquer que c'est l'étude mathématique de l'information qui est à l'origine de cette révolution et qui, paradoxalement, a permis l'émergence des conditions actuelles de dégradation de la qualité de l'information du public et de précarisation des journalistes de métier.
Cependant, les technologies de l'information (à l'instar des outils de la statistique) ne constituent pas la véritable cause des problèmes que vous aspirez à régler. Je crois au contraire qu'elles vont enfin permettre aux journalistes de métier de s'affranchir des pressions économiques qui gênent leur liberté d'action et qui vont, à mon grand soulagement, réduire à des niveaux acceptables la publicité d'opinion qui occupe présentement presque tout l'espace public. Le modèle du financement des entreprises de presse par la publicité est incompatible avec la libre expansion de l'espace public dans le virtuel. Bien entendu, la presse traditionnelle continue de jouer un rôle essentiel et de nouveaux moyens (plus digestes) d'en financer le fonctionnement seront vraisemblablement élaborés. Cependant, dans l'immédiat, votre attention devrait se porter sur l'objectif de récompenser et de pérenniser la production d'une information de qualité.
Je vous préviens donc contre l'envie d'imposer un cadre rigide à l'exercice du journalisme, qu'il soit exercé par des gens de métier ou des amateurs. Les bouleversements sont loin d'être terminés et je vous garantis qu'une structure comparable à celles qui ont été imposées en santé par Dr. Bolduc et en éducation par mesdames Courchesne et Beauchamp n'aura aucun effet bénéfique pour le public et les journalistes. L'idée d'organismes de contrôle et de supervision indépendants du milieu qu'ils régissent me paraît hasardeuse à concrétiser dans ces domaines et tout particulièrement en information. Assurez-vous d'obtenir l'adhésion générale de la population et du milieu journalistique et évitez (en tenant bien compte de toutes les connaissances actuelles) de créer des conditions favorables à un musèlement de la presse.
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