mardi 5 juillet 2016

Pensée du 5 juillet 2016

Dans la philosophie bouddhiste, l’ignorance est définie comme étant la saisie du soi. Cette définition est inaccessible à une philosophie occidentale construite sur la conscience individuelle. Pour voir l’obstacle et le surmonter, rendons visite au philosophe qui a ébranlé les assises de la scolastique d’Aristote : René Descartes.

Descartes, dans ses Méditations métaphysiques, se met en scène chez lui, confortablement installé dans un fauteuil au coin du feu, le corps contenté et l’esprit libre de réfléchir à la nature profonde de l’existence. Il invite le lecteur à faire comme lui table rase des opinions reçues de l’éducation et de la doctrine et de ne réadmettre à titre de connaissances que celles qui passeront l’examen de la raison claire exercée avec méthode. Les informations recueillies par les sens n’échappent pas à cet examen et le philosophe se demande s’il peut se fier à elles avec certitude. Il arrive qu’on ait des perceptions erronées — on s’en rend compte quelquefois — alors comment savoir si nos perceptions sensorielles ne proviennent pas d’un malin génie qui nous donnerait seulement l’impression que nos perceptions sont objectives? C’est là que Descartes fait remarquer que bien qu’il ne puisse pas savoir s’il perçoit réellement quelque chose ou s’il s’agit d’une habile mise en scène, il sent qu’il perçoit malgré tout. Cette perception directe de la cognition est pour lui la preuve de son existence : « Il n'y a donc point de doute que je suis, s'il [le malin génie] me trompe ; et qu'il me trompe tant qu'il voudra il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose.[i] »

Ce « je » philosophique doit être déconstruit à son tour et dépouillé de sa subjectivité pour découvrir l’esprit nu, qui n’est autre dans le bouddhisme que ce qui perçoit. Dans ce cas, le phénomène de la perception n’est pas pensé en dépendance de l’existence autonome du sujet. On dira que le « je » est imputé mais n’a pas d’existence intrinsèque. La saisie du soi, c’est de penser exister intrinsèquement. À Descartes on répondra : « Je m’impute à des pensées, donc j’ai un esprit dont je suis accessoire. »

Cette façon de définir l’esprit, c’est-à-dire par sa fonction de percevoir, nous permet d’identifier formellement des esprits qui autrement ne sont jamais nommés autrement que dans l’usage courant de la langue. On attribue couramment des perceptions à des groupes et à des institutions. Par exemple : « La Cour entend la cause. » Ou encore : « L’Homme [l’Être humain, dirait-on aujourd’hui] a marché sur la Lune. » De même un couple, une famille démontrent un esprit commun.

Ceci nous ouvre la possibilité de scruter d’un œil nouveau l’esprit d’un mouvement social.




[i] Les Méditations métaphysiques de René Des-Cartes touchant la première philosophie..., 1647, p.19 (copie numérisée : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86015099)

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