mercredi 1 mai 2013

Le premier chef


C'est aujourd'hui le 1er mai, la journée symbolique de l'émancipation des travailleurs salariés et du début de leur participation active à l'organisation politique de la société civile de notre époque. Le vocabulaire normalement utilisé pour parler de cette émancipation est tiré des essais de penseurs comme Karl Marx, Mikhaïl Bakounine, Hannah Arendt,  Simone Weil. Je souligne qu'en tant que journaliste de la Cité d'Athéna, je ne me sens pas tenu de respecter cette norme. ;)

Le club privé 357C
Les gens de mon âge ont vécu la guerre froide et se souviennent de la diabolisation du communisme; une diabolisation qui a eu pour effet de circonscrire le monde «libre» dans l'imaginaire collectif de l'Occident et de préserver la cohésion sociale au sein de cet ensemble. Je suis trop jeune pour avoir connu la peur engendrée par des anarchistes poseurs de bombes, une peur qui a entraîné la création du FBI aux États-Unis. Je suis trop jeune aussi pour avoir connu la peur causée en 1970 par des séparatistes québécois poseurs de bombes, une peur qui a eu comme effet la création d'un parti politique indépendantiste.

Aujourd'hui, c'est la peur du terrorisme maison qui domine la scène politique mondiale. En partie, seulement. Car, soustrait au travail des médias d'information, dans les médias alternatifs et sociaux, on peut voir en filigrane une nouvelle forme de socialisation en rupture avec le modèle immémorial de la diabolisation de la dissidence.

Je donne en exemple le mouvement des Femen[1], qui jouent avec le pouvoir des médias d'information en tirant avantage du fait que les normes sociales sont établies essentiellement par les hommes. En faisant des actions directes la poitrine nue, ces femmes réussissent à attirer l'attention sur des sujets comme le statut de la femme dans le monde, la domination des idées formulées par les hommes, la superficialité des médias d'information; tous des sujets qui sont habituellement relégués aux publications spécialisées.

Comme autre exemple, à Montréal, la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC), a annoncé ce matin en conférence de presse qu'elle organise une marche qui partira à 18h de l'hôtel de ville de Montréal et se terminera au club privé 357C, rendu tristement célèbre à la Commission Charbonneau[2]. Dans son communiqué, la CLAC inscrit cette action dans la «tradition de résistance populaire que symbolise le 1er mai depuis plus de 125 ans».


Le trajet de la manifestation n'a pas été divulgué aux policiers, en contravention avec le règlement municipal P-6, un règlement anti-manifestation controversé qui a été plusieurs fois contesté devant les tribunaux depuis son introduction en 1969. On se rappellera qu'un parti d'opposition avait demandé son abrogation lors du conseil municipal du 22 avril dernier, ce qui a permis de faire un débat de fond dans cette assemblée, sans toutefois produire de consensus[3].

Selon un des porte-paroles de la CLAC pour cette conférence de presse, des dispositions ont été prises pour accompagner dans leurs procédures judiciaires les manifestants qui seront vraisemblablement arrêtés ce soir.

Lors d'autres actions semblables ayant donné lieu à des arrestations massives, plusieurs manifestants ont témoigné de leur gratitude envers les militants qui les attendaient à la sortie du processus d'arrestation et d'identification pour leur offrir chaleur et nourriture.

La CLAC, comme les Femen, offre une vision subversive de l'action politique. En provocant des réactions, ces réseaux d'hommes et de femmes avec un mode de fonctionnement libertaire mettent en évidence l'automatisme des systèmes de répression et de contrôle de l'information présents dans nos sociétés contemporaines.

Si les mouvements sociaux actuels n'ont pas de chefs identifiables, nous sommes peut-être collectivement murs pour porter un regard critique sur l'œuvre de René Girard concernant l'origine des institutions humaines et en tirer des leçons pour l'avenir. Ceci méritera, bien sûr, un plus long développement.  À suivre.



[1] Lire cet excellent article de présentation du mouvement par Jean-François Mauger.
[3] Même amendée pour limiter l'abrogation aux derniers ajouts à P-6 (les plus contestés par la population), l'assemblée est restée très divisée. Voir les résultats.

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