Gavazzi dans son habit de moine barnabite
Photo tirée du Montreal Witness, 8 juin 1853;
Reproduite par Sylvain dans l'Encyclopédie de l'histoire du Québec |
Le Québec est agité. Quoi,
encore? Les coffres sont vides, disent les honnêtes gens, retournez travailler!
Une manifestation pour la manifestation devait avoir lieu le 5 avril[1],
mais les personnes qui s'étaient rassemblées dans ce but et quelques passants surpris
ont été encerclés par les policiers et empêchés de circuler librement pendant
plusieurs heures. Des journalistes ont été expulsés[2]
et d'autres sont restés à l'intérieur pour témoigner du moral et des conditions
de détention des manifestants[3].
Anarchopanda, l'icône de l'anarchie pacifique a été symboliquement décapité par
les forces de l'ordre[4]
et on a même pu voir un policier rigoler lorsqu'un journaliste lui a signifié
qu'on l'empêchait de faire son travail[5].
Pourquoi manifestent-ils?
demande-t-on[6].
Le gouvernement a tourné la page sur la crise sociale[7],
comme l'ont fait les porte-paroles étudiants de l'an dernier[8].
L'unité sociale en apparence retrouvée, ceux qui restent dans la rue risquent la
réprobation collective, non plus sous la forme de gazs, de bombes
assourdissantes et de mutilations[9],
mais par une tentative de lente érosion de leur volonté grâce à des
contraventions au code de sécurité routière et aux règlements municipaux comme le
fameux P-6.
Le Règlement
P-6 a été voté en 2012 pour donner aux policiers des pouvoirs accrus
sans pour autant qu'il leur soit explicitement rappelé de faire preuve de discrétion.
Il s'inscrit dans une lignée de règlements votés en réaction à des bris de
matériel à l'occasion de manifestations. Concrètement, P-6 donne à tout policier la possibilité d'arrêter un groupe de
trois personnes ou plus qui n'auraient pas divulgué leur itinéraire ou dont l'une
d'entre elles aurait le visage couvert. Les amendes pour les personnes arrêtées
commencent à $500 plus les frais et peuvent monter jusqu'à $3000 pour une
troisième offense.
Pour plusieurs Montréalais et
citoyens en transit, P-6 est
justifié par le besoin de quiétude et de sécurité[10].
Au sens de la loi, c'est dans le Code Criminel qu'on trouve les articles les plus
approchant de ces idées. Les articles 65
à 69 portent sur «l'émeute», un
attroupement illégal qui a commencé à troubler la paix tumultueusement.
L'article qui porte le plus a confusion est certainement le dernier, qui va
comme suit:
Négligence
d’un agent de la paix
69. Un agent de la paix
qui est averti de l’existence d’une émeute dans son ressort et qui, sans excuse
valable, ne prend pas toutes les mesures raisonnables pour réprimer l’émeute,
est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal
de deux ans. [je souligne]
L'émeute la plus célèbre de
Montréal, le 25 avril 1849, s'est déroulée dans un climat politique
exceptionnel. (Lire à cet effet «Le
Parlement brûle») et a marqué le début de «l'année de la Terreur». Montréal
et le Canada ont bien changé depuis 1849, mais les écrits restent, fussent-ils
des lois. Le Code Criminel n'indique pas ce qui est entendu par un attroupement
qui «trouble la paix tumultueusement». D'après mon dictionnaire, le tumulte est
un désordre bruyant; le bruit confus que font des personnes assemblées. «Tout à coup il entendit derrière lui un
tumulte, des pas précipités, des cris aux armes! » (Hugo). «Un tumulte d'acclamations,
d'applaudissements, de trépignements, d'interpellations bruyantes se prolongea
» (Madelin).
Dans l'arrêt Hébert v. Martin de 1931, on peut lire
plusieurs témoignages qui donnent une idée de la compréhension du mot «émeute»
à l'époque. Dans le cas en question, il y avait eu violence et menaces de
violence par un groupe de personnes envers une autre personne. L'arrêt renvoie également à l'émeute
Gavazzi, datant de 1853[11].
Dans l'arrêt Dupond de 1978 sur le Règlement 3926 du 12 novembre 1969 permettant d'interdire
temporairement la tenue de toute assemblée, défilé et attroupement dans le
domaine public de Montréal, les motifs déterminants pour la Cour suprême ont
été la nature locale du règlement et la situation exceptionnelle donnant lieu à
l'ordonnance. Le jugement n'est pas unanime[12].
Selon la lettre du directeur du SPVM demandant l'ordonnance, il y avait eu 97
manifestations depuis le début de l'année 1969 dont certaines avait attiré
plusieurs milliers de manifestants qu'il leur avait fallu contrôler,
nécessitant la mobilisation à grands frais de centaines de policiers. On y évoque
la présence récurrente d'agitateurs lançant des projectiles, la crainte d'actes
de violence à la personne et à la propriété et aussi la crainte d'une « aggravation
du nombre des vols à main armée et crimes majeurs lorsque les hommes de police
doivent être mobilisés lors de ces manifestations».
Depuis mai 2012, la Commission de
la sécurité publique de la Ville de Montréal est en possession d'une lettre
du Barreau du Québec l'informant «des garanties constitutionnelles liées aux
libertés fondamentales que sont la liberté d'expression et la liberté de
réunion pacifique » et de leurs réflexions sur la constitutionnalité du projet de Règlement
P-6.
Je tiens à préciser que je ne
suis pas avocat, mais à mon sens il y a deux façons de sortir de l'impasse et
de mettre un terme à la répression inutile et coûteuse qui est exercée envers des citoyens et citoyennes chargés de tous les maux par la presse à scandale.
La première solution serait d'abroger l'article 69 du Code Criminel, pour tenir compte de l'évolution des mœurs et
de la nature pacifique du peuple québécois. L'autre serait d'abroger le
Règlement P-6 de la Ville de Montréal et les
dispositions semblables adoptées dans d'autres municipalités au plus fort de la
crise sociale de 2012. La deuxième option me semble plus réaliste à court terme,
du moins pour les habitants de Montréal qui veulent qu'on «arrête de se chicaner».
À cet effet, j'ai fait connaître mon opinion à mes élus locaux lors du conseil
d'arrondissement du 8 avril et je compte en faire autant le 22 avril prochain pendant
l'assemblée municipale.
Le 22 avril, à l'Hôtel de Ville
de Montréal, c'est un rendez-vous!
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Ajout du 11 avril : Dans ce documentaire, on entend clairement un policier expliquer que son opinion personnelle ne compte pas, il doit faire respecter les lois. C'est indéniable, la balle est dans le camp des élus municipaux : si la contestation prend de l'ampleur, la police s'en lave les main.
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Ajout du 11 avril : Dans ce documentaire, on entend clairement un policier expliquer que son opinion personnelle ne compte pas, il doit faire respecter les lois. C'est indéniable, la balle est dans le camp des élus municipaux : si la contestation prend de l'ampleur, la police s'en lave les main.
[1] L'événement
Facebook, inscrit par 4 personnes commençait comme suit : «SOLIDARITÉ
CONTRE LA RÉPRESSION POLICIÈRE À MONTRÉAL. ENSEMBLE,
REPRENONS LES RUES ! Manifestation et désobéissance civile contre le
règlement anti-manifestation P-6 de Montréal. »
[4]
Face la pression populaire, le service de police a annoncé son intention de
rendre la «pièce à conviction» à son propriétaire, un professeur de philosophie.
[8] Un
leader étudiant, notamment, a rejoint le Parti Québécois, maintenant au
pouvoir.
[10]
Comme en témoigne la présentation d'un des chantier du Sommet de Montréal
intitulé «Environnement
urbain paisible et sécuritaire».
[11]
Pour une description captivante d'une émeute à Québec provoquée par une
conférence de Gavazzi, lire l'article de Robert Sylvain «Séjour mouvementé d'un
révolutionnaire italien à Toronto et à Québec», paru en 1959.
[12]
Notez bien que les juges ont le droit d'exprimer leur dissidence; la lecture de
l'arrêt est fort instructive.
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