Cher Monsieur Drainville
Je vous félicite pour votre ouverture envers les Québécois. La démarche que vous avez entreprise afin de redonner une voix aux électeurs est si simple et évidente à faire que je ne m'explique pas pourquoi d'autres avant vous et monsieur Legault ne s'y soient risqués. J'ai des commentaires à faire sur votre document et je suis en désaccord avec plusieurs des solutions proposées, mais en m'adressant à vous je suis convaincu d'avoir trouvé un intermédiaire impartial qui me permettra d'entamer un véritable dialogue avec les autres Québécois.
Pour que mes idées soient bien comprises, je vais d'abord partager avec vous mon propre constat et je vais répondre directement aux gens qui vous ont écrit. Ensuite je commenterai les solutions que vous avez retenues et je finirai en vous soumettant les idées avec lesquelles je jongle ces jours-ci. Ma réflexion n'est pas terminée et j'espère bien continuer à réfléchir avec l'apport des idées des autres Québécois.
Je compte sur vous pour favoriser ces échanges dans l'esprit de confiance mutuelle que vous avez adopté.
Le constat
Le désir d'harmonie
Les chefs des États membres de l'OCDE abordent la gouvernance à peu près tous de la même façon. Il y a des bénéfices indéniables à se coordonner et à favoriser les échanges entre les pays, le plus évident étant une protection contre la guerre. En effet, le vingtième siècle a été le théâtre de guerres mondiales qui ont convaincu les pays développés de favoriser l'harmonisation des échanges.
Ainsi, les jeunes doivent voyager et aller à la rencontre d'autres cultures et d'autres religions; les personnes doivent pouvoir circuler librement entre les pays; les chefs d'États doivent se rencontrer sur une base régulière et les entrepreneurs doivent avoir accès à tous les marchés nationaux.
La volatilité de l'opinion
« La démocratie est le pire système de gouvernement, à l'exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l'histoire. » — Winston Churchill
Les hellènes l'ont compris il y a longtemps, le talon d'Achille de la démocratie est la démagogie. Quand les circonstances s'y prêtent, il suffit d'un seul individu pour convaincre les citoyens de lui donner les pleins pouvoirs. La démocratie est ainsi appelée à être regagnée périodiquement puisqu'il est impossible d'interdire la démagogie à l'intérieur même d'une démocratie. (Car ce ne serait déjà plus une démocratie.)
Ce cycle peut être ralenti (et on l'espère arrêté) en protégeant la liberté d'expression. La liberté d'expression garde les citoyens contre les dérives autoritaires inspirées par le désir récurrent de juguler la démagogie. En contrepartie, le citoyen doit veiller à reconnaître les dérives autoritaires et les dénoncer.
En pratique, pour que la démocratie fonctionne, les citoyens doivent avoir le moyen d'échanger des idées entre eux au sein d'institutions qui leur appartiennent. Ces institutions permettent l'émergence de consensus sur les meilleures façons de vivre en société. Dans cet esprit, l'opinion publique permet de mesurer le degré de satisfaction des citoyens à l'égard de leurs institutions. Une opinion publique très volatile, comme au Québec ces dernières années, est le signal qu'il faut se pencher sur le fonctionnement des institutions démocratiques. Le prix à payer pour le statu quo est une remise en question du principe même de démocratie et une invitation aux démagogues de proposer des solutions autoritaires prétendument temporaires.
L'insécurité économique
L'harmonisation et l'intégration des marchés, lorsqu'elle est bien faite, favorise la création de richesse sans pénaliser les économies locales.
En pratique, cette harmonisation se fait dans l'indifférence des citoyens et le sujet n'est abordé qu'en temps de crise. Un appauvrissement imprévu se fait sentir depuis une génération, ce qui contribue à la méfiance des citoyens envers leurs institutions. Messieurs Jean Charest et Stephen Harper, il faut bien le reconnaître, sont attentifs à ce sentiment et défendent avec succès l'idée de prioriser l'économie et la création de richesse.
La commercialisation de l'information
La concentration de la presse offre des avantages et des inconvénients. Pour les annonceurs, avoir une visibilité dans la presse est devenu incontournable.
Avec la concentration de la presse au sein d'organismes nationaux et plurinationaux de plus en plus grands, les annonceurs profitent d'économies d'échelle et ont accès à des marchés à la carte, ce qui leur permet un meilleur contrôle des dépenses publicitaires de leurs clients. En contrepartie, il est plus difficile pour un nouvel organisme de presse de percer sur le marché, comme on l'a vu dernièrement avec la tentative de Rue Frontenac. En effet, les entreprises n'ont pas d'intérêt économique à annoncer directement dans un journal : ils préfèrent confier cette tâche à des annonceurs qui font office d'intermédiaires, et ces derniers privilégient avec raison leurs relations d'affaires avec les grands organismes de presse.
Sur ce point, je me permets de porter à votre attention la consultation publique organisée par madame Christine St-Pierre qui aura lieu ce automne et qui sera cruciale pour l'avenir du métier de journaliste.
Réponses aux citoyens
À Jacques, professionnel du milieu de l'éducation,
Je comprends votre sentiment et il est légitime. Vous avez bien fait d'envoyer votre texte. Les élus doivent comprendre que les citoyens sont des êtres humains doués d'intelligence et qu'ils leur doivent des explications intelligentes plutôt que des faux-semblants.
À Maurice, retraité,
J'ai constaté le même malaise dans mon propre entourage. Lorsque j'aborde le sujet de la situation politique au pays avec mes proches, j'entends de la détresse et du découragement. Les gens ne croient pas pouvoir faire changer les choses individuellement et ils ne font pas confiance aux partis existants.
À J., quinquagénaire de Montréal,
Vous avez parfaitement raison. Monsieur Alexis St-Gelais, qui a claqué la porte du PLQ récemment, représente bien ces jeunes gens intelligents qui ont compris que ces partis n'étaient pas prêts de les écouter.
À Jacques, «un entrepreneur qui se démène pour survivre»,
Effectivement, la dernière élection fédérale a été l'événement social et politique le plus important au Québec depuis longtemps. On ne peut plus se permettre de donner carte blanche aux élus jusqu'aux prochaines élections, sous peine de les voir se désintéresser encore davantage des intérêts des citoyens.
À Charles-Étienne,
Je me méfie beaucoup du mot : « urgence ». L'urgence sert souvent d'excuse à la démagogie et à l'imposition de mesures autoritaires. Cependant je suis tout à fait d'accord avec votre constat. L'abstention de vote n'est pas en soi un geste politique. (Je vous réfère à mon texte sur le sujet ici.) Et les élus doivent retrouver un intérêt à tenir compte de la presse.
À Micheline, 76 ans, Québec,
Ce serait idéal que tous les votes soient libres. Mais pour ça, il faudrait qu'il y ait un forum où discuter des projets de loi avant qu'ils soient soumis au vote des parlementaires. La ligne de parti reste une façon de trancher lorsqu'il n'y a pas de consensus clair. Malheureusement, il n'y a pas d'espace public où discuter librement des projets de lois. Dans les circonstances, les discussions se font à l'intérieur des partis et il n'y a plus de place pour la dissidence lors des votes.
À Antoine, ex-membre du PQ,
Vous proposez de « permettre un vote libre pour les projets de loi privés et pour des sujets d'ordre moral». Ce sera bien difficile en ces temps de confusion entre vie privée et vie publique. Et que faites-vous de tous ceux qui veulent imposer leur morale aux autres?
À Richard, ingénieur agricole,
Je pense qu'un système extrajudiciaire de rappel des élus en dehors des élections est susceptible d'être utilisé de façon démagogique. Avec une presse et une justice indépendantes, il ne devrait pas y avoir besoin d'instaurer un tel système.
À Hugo, citoyen de Taillon,
Je pense que les référendums sont aussi propices à la démagogie que les élections législatives. Ne placez pas tous vos espoirs dans cette formule.
À Pierre, avocat,
Vous proposez une seconde chambre d'Assemblée mais où allons-nous trouver des candidats pour occuper ces sièges? Nous avons déjà beaucoup de difficulté à trouver des candidats de qualité pour l'Assemblée Nationale. J'ai bien peur que multiplier les instances n'ajoute à la confusion.
Par contre, je suis d'accord avec l'idée de donner plus de place aux consultations en ligne. Les citoyens ont des contraintes de temps qui les empêchent de participer pleinement à la vie politique. L'internet est un excellent outil pour favoriser les échanges et une plus grande implication des citoyens.
À Martin,
Une réforme du mode de scrutin est peut-être à envisager, je ne sais pas. Mais tant que les élus auront intérêt à négliger les besoins des citoyens entre les élections, les problèmes actuels seront récurrents.
À Martin,
De tous les messages d'espoir envoyés à M. Drainville, je reproduis le vôtre. Il se passe de commentaires :
« Et voulez‐vous que je vous dise une dernière chose ?... Pensez aux jeunes ! Amenez les jeunes à participer à la construction du Québec de demain... dès aujourd'hui. » (Martin, 47 ans, Longueuil)
Les idées que vous avez retenues
Les Québécois doivent pouvoir élire leur premier ministre au suffrage universel
Ce que vous proposez s'apparente à un système présidentiel républicain. Les républiques des États-Unis et de la France ont démontré que « les stratégies partisanes et le ton hargneux lors des débats » y sont favorisés et leurs gouvernements sont largement critiqués par leurs citoyens.
Il est plus que temps que les élections soient tenues à date fixe
Je suis d'accord avec le principe d'élections à date fixe. Ne serait-ce que pour éviter que la population ne se sente manipulée par le parti au pouvoir sur ce point, ça en vaut la peine. Cependant, les élections à date fixe ne régleront pas tous les calculs partisans. Et ça n'empêchera pas d'aller en élection en dehors des dates prévues lorsque le gouvernement perdra la confiance de l'Assemblée.
L'État québécois doit disposer d'un processus de référendums d'initiative populaire
Je vous réfère à la réponse que j'ai adressée à Pierre un peu plus haut. Je suis pour une plus grande participation des citoyens qui ne serait pas excessivement exigeante en temps. Un mécanisme favorisant les référendums est en soit une bonne idée, mais je pense qu'il faut surtout créer un forum en ligne qui permettrait aux Québécois de contribuer aux choix politiques en dehors des partis et (surtout!) en dehors des périodes électorales.
Le mode de scrutin actuel doit être changé
Je ne suis pas convaincu que le mode de scrutin actuel doit désuet. (Notez bien que je ne le défends pas non plus.) L'important, c'est d'éviter de marginaliser des milieux de vie et des classes sociales. Le vote rural, le vote citadin, le vote de chaque région, tous doivent compter pour les partis lors des élections. (Et entre les élections, ce qui est le plus grave problème.)
Les idées qui me travaillent
Excusez-moi de sauter par-dessus les autres propositions que vous faites. Je préfère donner tout de suite la parole à mes idées (et qui trépignent d'impatience de se présenter aux vôtres).
Le Québec est le plus beau pays du monde
Je ne suis pas chauvin en disant que le Québec est le plus beau pays du monde. Les autres pays ne peuvent pas m'en tenir rigueur parce que je suis tout simplement en amour. J'aime les Québécois, j'aime les Français, j'aime les Algonquins, j'aime les Iroquois, j'aime les Anglais, j'aime les Américains, j'aime les Canadiens, j'aime tous les citoyens que j'ai rencontrés au Québec et ailleurs, mais mon cœur appartient à cette terre et à ses habitants.
Le Québec a d'excellentes institutions démocratiques
Le système parlementaire britannique imposé aux Canadiens-Français a démontré sa valeur. Adélard Godbout, Jean Lesage et René Lévesque ont réussi à faire progresser le Québec au sein de ces institutions. S'il y a une remise en question à faire, elle est au niveau fédéral : il n'est pas normal qu'un gouvernement condamné pour outrage au parlement soit réélu avec une majorité. Le Québec assiste impuissant à la dégradation des institutions fédérales amorcée par les Libéraux et les Conservateurs. Je veux que le Québec préserve le système parlementaire britannique afin qu'il serve de modèle lorsque le système politique qui lui a succédé aura fait son temps.
L'information veut être libre
L'information a été harnachée afin de la faire travailler au service de l'économie. Aujourd'hui, elle se meurt en captivité. Puisque nos élus n'écoutent plus la presse et que les citoyens haïssent les journalistes, il est temps de lâcher la bride. Je veux que les journalistes reprennent le contrôle de la presse.
Conclusion
Changer de ton sera très payant politiquement. Ceux qui aboient ne laissent pas l'occasion aux citoyens de réfléchir et ça les énerve. Pourtant les débats à l'Assemblée Nationale et les consultations populaires sont d'excellents endroits où faire valoir les intérêts des citoyens. Les institutions démocratiques ne sont tout simplement pas utilisées à leur plein potentiel. Il faut trouver le moyen de rendre profitable aux partis d'écouter ce qui se dit dans la presse et dans les forums à venir sur Internet.
Il n'y a aucun besoin impératif de licencier telle ou telle partie de la fonction publique, ni de modifier la gestion des écoles, des villes, des universités, des hôpitaux ou du gouvernement. Commencez par écouter calmement la population et ne l'écartez pas des décisions jusqu'au moment du vote. Les citoyens ne se contenteront plus de voter pour rien.
Une copie de ma réponse sera également disponible sur ce blogue pour fins de consultation.
J'écouterai vos prochaines propositions avec tout autant d'attention et j'espère que vous tiendrez compte de mes idées.
Bien à vous,
François Genest
Le 25 août 2011