mercredi 13 avril 2011

Que font les citoyens quand ils s'emmerdent?

Aujourd'hui, je suis déprimé. Les débordements d'émotions, ce n'est pas ma tasse de thé et on m'en a servi des hectolitres les derniers jours avec «l'affaire Cantat» qui a culminé hier soir avec la prise de position de Serge Denoncourt à l'émission de Guy A. Lepage. Il faut dire que je n'ai pas vu l'émission, j'avais un souper de famille, mais je suis au courant de ce que monsieur Denoncourt a dit. Ça a été largement rapporté sur Twitter.

Odile Tremblay a écrit une belle lettre à Bertrand Cantat que j'ai lue hier soir et qui m'a rappelé qu'en faisant des gorges chaudes à son sujet, on s'était bien peu intéressé à l'homme. Je ne répéterai pas mes nombreuses interventions dans les médias. J'ai abondamment déploré que certains se servent de cette histoire pour faire avancer leurs idées en faisant appel aux viscères plutôt qu'à la raison.
Je suis un néophyte du journalisme. En fait, je n'ai pas envie de faire ça régulièrement. Ça semble être un métier ingrat, rempli de désagréments de toutes sortes, mal payé et peu reconnu. Sur ce dernier aspect, notre chef d'État ne donne pas un bien bon exemple en affichant ouvertement son mépris envers le métier. Mais ce n'est pas de ça dont j'ai envie de parler.
C'est dans un état déprimé que je me lève aujourd'hui. Mes concitoyens se radicalisent et j'ai bien peu de moyens pour calmer les esprits. Pas un bon «mood» pour travailler. J'écris une lettre au Globe and Mail pour essayer de toucher l'autre solitude. Sur le site, je tombe sur une chronique qui n'arrange pas mon humeur. Les Québécois se désintéresseraient de savoir qui les gouverne… J'ai juste envie de répondre : «Please back off».
Je vais sur le site de la CAQ donner mon avis sur quelques sujets. Je trouve important de répondre aux appels à la discussion, même de la part d'adversaires politiques. Bien oui, je suis de même. Traitez-moi d'idéaliste mais pas d'utopiste, s'il vous plaît.
Et finalement je tombe sur le site de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et le sujet de ma chronique : le statut des journalistes.
Quand j'ai entendu parler du rapport Payette à sa publication, la première chose que je me suis dite c'est que c'était périlleux de créer un statut professionnel pour eux. Le Québec souffre beaucoup des conflits entretenus par les attitudes corporatistes de tout un chacun. Je ne voyais pas comment les journalistes échapperaient à cette tendance en s'imposant des barrières à l'entrée. La FPJQ a lancé un coup de sonde auprès des gens du métier et déclare que 87% d'entre eux sont en accord avec la création d'un titre professionnel. Quand je suis allé voir les questions, j'ai eu un moment : «Ah! non pas un autre sondage biaisé, vague et inutile». Heureusement, les commentaires ont été rendus disponibles et révèlent des opinions plus nuancées. Je tiens à répondre à certains d'entre eux :
« Certainement. Il y a une crise de l'information véritable, noyée dans un foisonnement de n'importe quoi; mais les citoyens auront toujours soif de vérité, d'articles, d'enquêtes et de reportages fouillés, qui mettent en lumière des faits occultés.»

Je suis d'accord avec les deux affirmations contenues dans ce commentaire. La frontière entre l'information et la publicité est de plus en plus ténue et les connaissances acquises en marketing sont allégrement imposées au mode de fonctionnement du métier. Cependant, il y a une limite à ce que l'être humain peut endurer comme bombardement d'informations. Les citoyens parfois se replient sur eux-mêmes, mais quand ils en comprennent l'importance, ils vont se désaltérer auprès de sources potables.
« Les journalistes disent souvent donner à leur lecteurs, auditeurs ou spectateurs ce qu'ils attendent pour justifier la piètre qualité des informations diffusées. Ils sont aussi souvent les premiers à dire que c'est différent de ce qu'eux attendent. Quand on travaille sur ce qui nous intéresse et qu'on pose les questions auxquelles on veut des réponses, d'habitude ça intéresse aussi d'autres gens. Les journalistes devraient peut-être recommencer à être un peu plus fiers de ce qu'ils font pour que d'autres le soient aussi. »

De l'extérieur du métier, c'est une évidence. Je ne peux qu'encourager les journalistes à décoller un peu du cadre imposé par leurs employeurs. Quand ceux-ci découvriront l'intérêt renouvelé du public, ils seront soulagés eux aussi de ne plus avoir à rajouter de la paillette et des effets spéciaux. Mais c'est dur de prendre des risques quand notre situation est précaire. Je comprends tout à fait ça.
« On arrive à faire un journalisme de qualité avec les moyens du bord, mais on pourrait faire bien mieux si on disposait d'un peu plus de ressources humaines et financières. Faire de l'enquête au téléphone, sans aucun budget de déplacement, ça donne ce que ça donne. C'est vraiment démotivant.»

Je comprends ça. L'argent est mis sur le contenant et ce n'est pas toujours évident pour le public que la priorité du diffuseur est de bien paraître.
La FPJQ a peut-être raison de militer pour un statut de journaliste mais je ne suis pas encore convaincu. Et ça ne me rassure pas de trouver un erreur grave dans «-trente-» le magazine du journalisme. Dans son article «Levée de boucliers contre le rapport Payette», Stéphane Giroux rappelle le jugement de la Cour Suprême[1] comme argument en faveur de la création d'un statut professionnel. Voici ce qu'écrit le journaliste :
« En soi, la scène avait quelque chose de surréaliste. Les plus grands médias canadiens sont devant la Cour suprême, avec les meilleurs avocats du pays, pour défendre la protection des sources dans la cause qui oppose Polygone à Daniel Leblanc, du Globe and Mail. L’enjeu : lui permettre de garder secrète l’identité de Ma Chouette, la " Deep Throat " du scandale des commandites.
Dans son jugement d’octobre 2010, la Cour invalidera cette demande de protection, en écrivant que " les journalistes ne sont assujettis à aucun processus d’agrément officiel [...] et qu’aucune organisation professionnelle ne régit la profession et ne veille au respect des normes professionnelles ".
C’est avec ce genre d’obstacle en tête que la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) a interpellé la ministre Christine St-Pierre, et ce, bien avant que tombe ce jugement. L’objectif était de trouver une sortie à la crise des médias, et la réponse a été donnée au congrès de 2009, à Sherbrooke. La ministre a passé la commande à Dominique Payette, qui, rapidement a mis en avant la piste du statut professionnel. »
Quand on se rapporte au jugement en question, on constate que la vérité n'a pas été présentée dans son intégralité. Il est vrai que la Cour a rejeté l'idée avancée par les demandeurs que la Charte des droits et libertés garantissait la protection des sources confidentielles. Et il est vrai qu'elle laisse entendre que l'idée aurait été concevable si les journalistes étaient assujettis à un processus d’agrément officiel comme pour les avocats.
Mais il est vrai aussi que la Cour Suprême a donné raison aux demandeurs et que l'anonymat de la source de Daniel Leblanc a été protégé. En fait, la Cour indique clairement comment la confidentialité des sources peut être défendue en Cour :
« …pour exiger qu’un journaliste, dans une instance judiciaire, réponde à des questions susceptibles de permettre d’identifier une source confidentielle, la partie requérante doit démontrer leur pertinence.  Si les questions sont pertinentes, le tribunal examinera ensuite les quatre volets du test de Wigmore : (1) les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance que l’identité de la source ne sera pas divulguée; (2) l’anonymat doit être essentiel aux rapports dans le cadre desquels la communication est transmise; (3) les rapports doivent être, dans l’intérêt public, entretenus assidûment; et (4) l’intérêt public protégé par le refus de la divulgation de l’identité doit l’emporter sur l’intérêt public dans la recherche de la vérité. »
La création d'un statut professionnel sera peut-être bénéfique, ça reste à voir. Mais a priori elle ne renforcera pas la protection légale des journalistes. Le plus simple pour un avocat qui défend un journaliste dans un cas pareil reste de citer la décision de la Cour Suprême.
J'y pense. Peut-être que le véritable problème est là. Les journalistes veulent être protégés des abus. Est-ce qu'un statut professionnel les aidera en ce sens? J'approcherais le problème d'une toute autre façon. Collectivement, nous pourrions rendre le travail de journaliste plus facile, non pas en réglementant leur métier directement, mais en rendant l'information plus facilement accessible et vérifiable. Les sites gouvernementaux sont une mine d'or de renseignements sur l'avenir de notre société, grâce aux principes de transparence qui vont avec le système parlementaire. L'idée du rapport Payette de créer un site gouvernemental d'hébergement de données mérite d'être regardé de plus près. En ce moment je crée du contenu en ligne que je parsème sur la toile. Je serais bien content d'avoir un endroit où réunir tout ça et où je serais récompensé en proportion du nombre de gens qui se servent de ce que je contribue. Les médias traditionnels sont repliés sur eux-mêmes. Un petit coup de pouce du gouvernement aux journalistes pourrait les voir s'affranchir des patrons bornés et faire apparaître de nouveaux quotidiens.
Bon, je vais me coucher. Espérons que demain je serai moins bougon.
François Genest, le 11 avril 2011


·         [1] Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 5922010-10-22

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