vendredi 22 avril 2011

L'appel de Socrate

Merci à vous tous d'avoir répondu à mon invitation et de vous être déplacés pour venir entendre mon appel. Comme vous le savez, j'ai été exécuté en 399 avant Jésus-Christ par les citoyens de mon État, la magnifique cité d'Athènes. L'acte d'accusation a été déposé par Mélétos, un artiste, appuyé par Anytos, un homme d'affaire talentueux, et par mon ami de longue date, le très respecté Lycon.
J'ai été accusé de vouloir introduire un nouveau culte et de corrompre les jeunes gens. Personnellement, j'ai toujours pensé que c'était Anytos qui était derrière ça. J'avais conseillé au fils d'Anytos de faire de la philosophie plutôt que de se consacrer à l'entreprise de son père et Anytos en a été bien choqué. S'il n'y avait eu que Mélétos pour m'accuser, jamais il n'aurait été capable d'obtenir une majorité de votes pour me faire condamner. Et je suis sûr qu'il n'aurait même pas eu le minimum de votes nécessaire pour éviter d'avoir à payer une amende.
Au procès, j'étais certain que j'allais être condamné, peu importe ce que je dirais. J'avais soixante-dix ans et pratiquement personne des cinq cents dicastes  présents ne me connaissait. Ils étaient trop jeunes pour se souvenir de l'estime qu'on me portait. En fait, j'ai été surpris de voir que le vote était aussi divisé que ça. J'ai été condamné seulement par une faible majorité. Le vote en faveur de me donner la peine de mort plutôt qu'une amende a été plus probant. Entre les deux peines proposées, ils ont choisi la plus sévère. C'était dans l'air du temps. Un montant d'argent, même exorbitant pour moi, n'était pas encore assez cher payé pour faire réparation au yeux des Athéniens. Ils auraient probablement accepté que je m'exile ou que je m'engage à ne plus inciter les jeunes gens à s'intéresser à la philosophie. Mais c'était hors de question pour moi. Je suis encore persuadé aujourd'hui que je n'avais rien fait de mal. Ça ne peut pas être mal de dire ce qu'on pense et de parler ouvertement dans les lieux publics.
Il faut dire que même si la nouvelle génération ne me connaissait pas personnellement, ils avaient entendu parler de moi. Tout le monde savait qu'Alcibiade avait été mon ami. Le flamboyant Alcibiade à qui les Athéniens avaient confié leur destin plus d'une fois et qui les avait royalement laissés tomber. Dans sa jeunesse, je l'avais pris sous mon aile et il me vantait volontiers pour la science que je lui avais apprise. Et il y avait aussi Critias, l'homme fort de la tyrannie des trente, que je connaissais et qui m'avait épargné parce que j'avais accepté de ne plus parler aux jeunes gens. J'étais associé dans l'esprit des Athéniens à des criminels irrécupérables qu'aucune peine ne saurait réhabiliter.
À mon procès, on m'a reproché de m'être tenu loin des affaires de la Cité. Si j'étais vraiment si sage, demandait Anytos, pourquoi n'avais-je pas participé à la vie politique? J'aurais pu ainsi, disait-il, mettre ma science au profit de tous plutôt que d'instruire seulement quelques méchants qui se sont servi de leurs connaissances pour causer la ruine de l'État. J'ai répondu que j'étais convaincu depuis toujours que si je m'impliquais dans les affaires de la Cité, mon franc parler et mon manque de convenances me coûteraient la vie avant longtemps. Maintenant, je ne suis plus si sûr que j'ai fait le bon choix.
Platon, lui, a réussi où j'avais échoué. En plaçant la philosophie dans l'Académie et en gardant ma mémoire vivante, il s'est assuré qu'on puisse redécouvrir ma pensée encore et encore pour des millénaires. La connaissance est dangereuse pour le pouvoir en place et il faudra toujours la protéger à l'intérieur d'universités, à l'abri des influences mondaines et accessible à tous ceux qui la désirent.
Si votre cité est agitée par des troubles, s'il y a des factions, une tyrannie ou des oligarques, ne désespérez pas. Ce n'est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière. On est parfois trop collé à une époque pour pouvoir respirer à l'aise. Je vous invite à jeter un regard en arrière et à contempler les siècles qui nous séparent. Moi, ça calme mon esprit.
Bonne chance et soyez sages :-)
Socrate,  fils de Sophronisque du dème d'Alopèce,  le 22 avril 2011

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire