18 mars 2011
Lettre ouverte à Monsieur le Ministre de la Sécurité publique, l'honorable Vic Toews,
Monsieur le Ministre,
je vous écris pour dénoncer le traitement inéquitable que vous prévoyez réserver aux citoyens qui ont purgé leur peine, ont réussi leur réinsertion dans la communauté, désirent trouver un emploi, mais vivent dans la pauvreté. Ceux-ci devront désormais payer une demande de pardon plus de $600, une somme considérable pour quelqu'un qui vit, par exemple, de l'aide sociale, alors qu'il n'en coûtait que $50 l'an dernier, avant les modifications apportées au fonctionnement de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC).
Je vous rappelle brièvement le dossier. En vertu de l'inquiétude grandissante des Canadiens vis-à-vis de leur sécurité, les projets de loi C-23A et C-23B ont été adoptés, allongeant les délais d'attente avant de demander un pardon et interdisant l'octroi de pardons dans certaines circonstances. Afin de mieux encadrer le travail des commissaires de la CLCC, la loi C-23A précise que c'est au demandeur qu'il incombe de convaincre qu'un pardon l'avantagerait et favoriserait sa réinsertion sociale, et que certaines vérifications supplémentaires doivent être faites par la CLCC avant d'accéder à la demande de pardon.
Un pardon peut être octroyé à un citoyen qui a purgé la totalité de sa peine et qui en fait la demande après une période d'attente. Ce pardon n'est pas automatique, les demandes sont évaluées par des commissaires spécialement formés pour prendre ce genre de décision et le demandeur doit s'être réhabilité à la satisfaction de la CLCC. En fait, les demandes de pardon qui se rendent à terme sont peu nombreuses, mais lorsqu'un demandeur va jusqu'au bout du processus, c'est généralement qu'il a réussi sa réintégration. En effet, selon les Services de gestion des renseignements judiciaires de la GRC, qui gèrent l'information touchant 2,8 millions de casiers judiciaires, un peu plus de 400 000 Canadiens ont reçu un pardon entre 1970 et 2010 et près de 15 000 de ces personnes ont vu leur pardon révoqué suite à de nouveaux démêlés avec la justice. Les chiffres ne mentent pas, la CLCC fait un bon travail et la valeur de l'octroi d'un pardon est bien comprise par les Canadiens.
Le programme d'octroi de pardons était déficitaire et c'est une bonne chose que les frais aient été haussés à en octobre dernier. Cependant, à cause des nouvelles règles, les frais vont monter à plus de $600 si vous l'autorisez. L'idée peut sembler bonne, mais elle aura pour effet d'exclure des gens à toutes fins pratiques réhabilitées, mais qui n'ont pas les moyens de présenter leur demande.
Je vous rappelle que tout demandeur a déjà purgé la totalité de sa peine et est libre depuis des années. Refuser un pardon ne prévient donc pas la récidive et n'augmente en rien la sécurité publique. Au contraire, l'octroi d'un pardon à un citoyen qui le mérite lui donne une raison de plus de bien se comporter à l'avenir, puisque le pardon peut lui être retiré. Les délinquants ayant commis un crime majeur ont vraisemblablement déjà toutes les misères du monde à se refaire une vie, peu importe le coût d'une demande de pardon. Dorénavant, le pardon sera inaccessible aux plus pauvres, quelle que soit la gravité de leur crime.
Tout ne se résume pas à une affaire de chiffres et aux personnes qui cherchent la reconnaissance de leur bonne conduite. Il ne faut surtout pas oublier les victimes. Il faut le dire clairement : le pardon accordé par la CLCC n'est en aucune façon comparable à la possibilité de pardonner qui appartient à la victime d'un acte violent. La démarche personnelle de pardon ne regarde pas le gouvernement. Une victime n'est jamais obligée de pardonner. Elle le fait si ça fait partie de sa guérison et c'est elle qui décide. Ce que le gouvernement peut faire, par contre, c'est de donner tous les outils nécessaires aux victimes d'actes violents pour favoriser leur quiétude d'esprit et leur guérison. Remplacer le terme de «réhabilitation» par «suspension de dossier» est une excellente façon de montrer la détermination du gouvernement à ne pas laisser les victimes à leur sort, mais d'autres mesures plus concrètes pourraient être mises en place, par exemple le financement de centres pour femmes victimes de violence ou une aide à la recherche d'un logement adapté pour les victimes handicapées à la suite d'un acte criminel.
Je sais que vous êtes d'avis que le système antérieur favorisait trop les demandeurs de pardon et que les projets de loi C-23A et C-23B ont donné un bon coup de barre vers une meilleure administration de la justice. Cependant, je crains que le nouveau système n'entraîne beaucoup de souffrances inutiles à des gens qui ont véritablement réussi leur réinsertion.
Merci d'avoir pris le temps d'entendre mes inquiétudes et j'espère apprendre bientôt ce que vous comptez faire pour éviter les problèmes que je redoute.
À notre époque, un casier judiciaire est un obstacle à l'obtention du plus simple des emplois. Il n'est pas déraisonnable d'affirmer que le fait de rendre les demandes de pardon plus difficiles et coûteuses pousseront nombre de démunis vers l'indigence et le crime. Les bonnes intentions du gouvernement auraient alors l'effet pervers de causer plus d'insécurité qu'il n'y en a actuellement.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de mes sentiments les meilleurs,
François Genest, mathématicien
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